Jean Paul II, Lettre aux familles montfortaines

La Lettre du pape Jean-Paul II aux Familles Montfortaines éclaire la profonde spiritualité mariale de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, centrée sur une union vivante à Jésus par Marie, Mère de l’Église et modèle parfait de foi, d’espérance et de charité. En méditant cette doctrine, enracinée dans le mystère trinitaire et l’Incarnation, le fidèle est invité à cheminer vers la sainteté, nourri par la médiation maternelle de la Vierge.


Le 8 décembre 2003, en la Solennité de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, le Pape Jean-Paul II a signé son importante Lettre aux Religieux et Religieuses des Familles Montfortaines.

À la lumière de la Constitution Lumen Gentium (LG 52-69),

l’enseignement présente le christo-centrisme de la spiritualité montfortaine sous le titre « Ad Iesum per Mariam » (n° 2-4).

Vient ensuite le résumé de l’aspect ecclésiologique intitulé : Marie, membre éminent du Corps mystique et Mère de l’Église (n° 5).

Enfin, la Lettre Pontificale se termine en montrant le chemin ecclésial de la sainteté vécu avec Marie dans la foi, l’espérance et la charité, dans les derniers développements qui sont respectivement intitulés : la sainteté, perfection de la charité (n° 6), le "pèlerinage de la foi" (n° 7), un signe d’espérance assurée (n° 8).

LA DOCTRINE DE SAINT LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT

*LETTRE DU PAPE JEAN-PAUL II

AU RELIGIEUX ET AUX RELIGIEUSES DES FAMILLES MONFORTAINES*

Un texte classique de la spiritualité mariale

  1. Il y a cent soixante ans, était rendue publique une œuvre destinée à devenir un classique de la spiritualité mariale. Saint Louis-Marie Grignion de Montfort composa le Traité de la vraie dévotion à la Vierge au début du XVIIIe siècle, mais le manuscrit demeura pratiquement inconnu pendant plus d’un siècle. Lorsque finalement, presque par hasard, il fut découvert en 1842 et publié en 1843, il connut un succès immédiat, se révélant une œuvre d’une efficacité extraordinaire dans la diffusion de la "vraie dévotion" à la Très Vierge. Moi-même, au cours des années de ma jeunesse, j’ai tiré un grand bénéfice de la lecture de ce livre, dans lequel "j’ai trouvé la réponse à mes doutes", liés à la crainte que le culte pour Marie, "en se développant excessivement, finisse par compromettre la suprématie du culte dû au Christ" (Don et mystère). Sous la sage direction de saint Louis-Marie, je compris que si l’on vit le mystère de Marie dans le Christ, ce risque n’existe pas. En effet, la pensée mariologique du saint "est enracinée dans le Mystère trinitaire, et dans la vérité de l’Incarnation du Verbe de Dieu" (ibid.).

L’Église, dès ses origines, et en particulier dans les moments les plus difficiles, a contemplé avec une intensité particulière l’un des événements de la Passion de Jésus Christ rapporté par saint Jean : "Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : "Femme, voici ton fils." Puis il dit au disciple : "Voici ta mère". Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui" (Jn 19, 25-27). Au cours de son histoire, le Peuple de Dieu a fait l’expérience de ce don fait par Jésus crucifié : le don de sa Mère. La Très Vierge est véritablement notre Mère, qui nous accompagne dans notre pèlerinage de foi, d’espérance et de charité vers l’union toujours plus intense avec le Christ, l’unique sauveur et médiateur du salut (cf. Const. Lumen gentium , nn. 60 et 62).

Comme on le sait, dans mes armoiries épiscopales, qui sont l’illustration symbolique du texte qui vient d’être cité, la devise Totus tuus s’inspire de la doctrine de saint Louis-Marie Grignion de Montfort (cf. Don et mystère ; Rosarium Virginis Mariae , n. 15). Ces deux paroles expriment l’appartenance totale à Jésus par Marie : "Tuus totus ego sum, et omnia mea tua sunt", écrit saint Louis-Marie ; et il traduit : "Je suis tout à vous, et tout ce que j’ai vous appartient, ô mon aimable Jésus, par Marie, votre Mère" (Traité de la vraie dévotion, n. 233). La doctrine de ce saint a exercé une profonde influence sur la dévotion mariale de nombreux fidèles et sur ma propre vie. Il s’agit d’une doctrine vécue, d’une considérable profondeur ascétique et mystique, exprimée dans un style vivant et ardent, qui a souvent recours à des images et des symboles. Depuis l’époque où vécut saint Louis-Marie, la théologie mariale s’est toutefois beaucoup développée, en particulier grâce à la contribution décisive du Concile Vatican II. C’est à la lumière du Concile que doit donc aujourd’hui être relue et interprétée la doctrine montfortaine, qui n’en conserve pas moins sa valeur substantielle.

Dans la présente Lettre, je voudrais partager avec vous, religieux et religieuses des familles montfortaines, la méditation de certains passages des écrits de saint Louis-Marie, qui peuvent nous aider en ces moments difficiles à nourrir notre confiance dans la médiation maternelle de la Mère du Seigneur.

Ad Iesum per Mariam

  1. Saint Louis-Marie propose avec une efficacité singulière la contemplation amoureuse du mystère de l’Incarnation. La vraie dévotion mariale est christocentrique. En effet, comme l’a rappelé le Concile Vatican II, "en se recueillant avec piété dans la pensée de Marie, qu’elle contemple dans la lumière du Verbe fait homme, l’Église pénètre avec respect plus avant dans le mystère suprême de l’Incarnation" (Const. Lumen gentium , n. 65).

L’amour pour Dieu à travers l’union à Jésus Christ est la finalité de toute dévotion authentique, car - comme l’écrit saint Louis-Marie - le Christ "est notre unique maître qui doit nous enseigner, notre unique Seigneur de qui nous devons dépendre, notre unique chef auquel nous devons être unis, notre unique modèle auquel nous devons nous conformer, notre unique médecin qui doit nous guérir, notre unique pasteur qui doit nous nourrir, notre unique voie qui doit nous conduire, notre unique vérité que nous devons croire, notre unique vie qui doit nous vivifier et notre unique tout en toutes choses qui doit nous suffire" (Traité de la vraie dévotion, n. 61).

  1. La dévotion à la Vierge est un moyen privilégié "pour trouver Jésus Christ parfaitement et l’aimer tendrement et le servir fidèlement" (Traité de la vraie dévotion, n. 62). Ce désir central d’"aimer tendrement" est immédiatement amplifié en une prière ardente à Jésus, lui demandant la grâce de participer à l’indicible communion d’amour qui existe entre Lui et sa Mère. La totale relativité de Marie au Christ, et en Lui à la Très Trinité, apparaît tout d’abord dans l’observation suivante : "Enfin, parce que vous ne pensez jamais à Marie, que Marie, en votre place, ne pense à Dieu ; vous ne louez ni n’honorez jamais Marie, que Marie avec vous ne loue et n’honore Dieu. Marie est toute relative à Dieu et je l’appellerais fort bien la relation de Dieu, qui n’est que par rapport à Dieu, ou l’écho de Dieu, qui ne dit et ne répète que Dieu. Si vous dites Marie, elle dit Dieu. Élisabeth loua Marie et l’appela bienheureuse de ce qu’elle avait cru ; Marie, l’écho fidèle de Dieu, entonna : Magnificat anima mea Dominum : Mon âme glorifie le Seigneur. Ce que Marie a fait en cette occasion, elle le fait tous les jours ; quand on la loue, on l’aime, on l’honore ou on lui donne, Dieu est loué, Dieu est aimé, Dieu est honoré, on donne à Dieu par Marie et en Marie" (Traité de la vraie dévotion, n. 225).

C’est encore dans la prière à la Mère du Seigneur que saint Louis-Marie exprime la dimension trinitaire de sa relation avec Dieu : "Je vous salue Marie, Fille bien-aimée du Père Éternel ; je vous salue, Marie, Mère admirable du Fils ; je vous salue, Marie, Épouse très fidèle du Saint Esprit !" (Le secret de Marie, n. 68). Cette expression traditionnelle, déjà utilisée par saint François d’Assise (cf. Écrits, col « Sources Chrétiennes », p 291), tout en contenant des niveaux hétérogènes d’analogie, est sans aucun doute efficace pour exprimer d’une certaine façon la participation particulière de la Vierge à la vie de la Très Trinité.

  1. Saint Louis-Marie contemple tous les mystères à partir de l’Incarnation qui s’est accomplie au moment de l’Annonciation. Ainsi, dans le Traité de la vraie dévotion, Marie apparaît comme le "vrai paradis terrestre du Nouvel Adam", la "terre vierge et immaculée" dont Il a été formé (n. 261). Elle est également la Nouvelle Ève, associée au Nouvel Adam dans l’obéissance qui répare la désobéissance originelle de l’homme et de la femme (cf. ibid., n. 53 ; saint Irénée, Adversus haereses, III, 21, 10-22, 4). À travers cette obéissance, le Fils de Dieu entre dans le monde. La Croix elle-même est déjà mystérieusement présente à l’instant de l’Incarnation, au moment de la conception de Jésus dans le sein de Marie. En effet, l’ecce venio de la Lettre aux Hébreux (cf. 10, 5-9) est l’acte d’obéissance primordial du Fils au Père, c’est déjà l’acceptation de son Sacrifice rédempteur "lorsqu’il entre dans le monde".

"Toute notre perfection - écrit saint Louis-Marie Grignion de Montfort - consistant à être conformes, unis et consacrés à Jésus Christ, la plus parfaite de toutes les dévotions est sans difficulté celle qui nous conforme, unit et consacre le plus parfaitement à Jésus Christ. Or, Marie étant la plus conforme à Jésus Christ de toutes les créatures, il s’ensuit que, de toutes les dévotions, celle qui consacre et conforme le plus une âme à Notre-Seigneur est la dévotion à la Très Vierge, sa Mère, et que plus une âme sera consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus Christ" (Traité de la vraie dévotion, n. 120). En s’adressant à Jésus, saint Louis-Marie exprime combien est merveilleuse l’union entre le Fils et la Mère : "elle est tellement transformée en vous par la grâce qu’elle ne vit plus, qu’elle n’est plus ; c’est vous seul, mon Jésus, qui vivez et régnez en elle... Ah ! si on connaissait la gloire et l’amour que vous recevez en cette admirable créature... Elle vous est si intimement unie... elle vous aime plus ardemment et vous glorifie plus parfaitement que toutes vos autres créatures ensemble" (ibid, n. 63).

Marie, membre éminent du Corps mystique et Mère de l’Église

  1. Selon les paroles du Concile Vatican II, Marie "est saluée comme un membre suréminent et absolument unique de l’Église, modèle et exemplaire admirables pour celle-ci dans la foi et dans la charité" (Const. Lumen gentium , n. 53). La Mère du Rédempteur est elle-même rachetée par lui, de façon unique dans son immaculée conception, et elle nous a précédés dans cette écoute croyante et aimante de la Parole de Dieu qui rend bienheureux (cf. ibid., n. 58). C’est aussi pour cela que Marie "se trouve également en intime union avec l’Église : de l’Église, selon l’enseignement de saint Ambroise, la Mère de Dieu est le modèle (typus) dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ. En effet, dans le mystère de l’Église, qui reçoit elle aussi à juste titre le nom de Mère et de Vierge, la bienheureuse Vierge Marie occupe la première place, offrant, à un titre éminent et singulier, le modèle de la vierge et de la mère" (ibid., n. 63). Le même Concile contemple Marie comme Mère des membres du Christ (cf. ibid., n. 53 ; n. 62), et ainsi Paul VI l’a proclamée Mère de l’Église. La doctrine du Corps mystique, qui exprime de la manière la plus forte l’union du Christ avec l’Église, est également le fondement biblique de cette affirmation. "Le chef et les membres naissent d’une même mère" (Traité de la vraie dévotion, n. 32), nous rappelle saint Louis-Marie. C’est pourquoi nous disons que, par l’œuvre de l’Esprit Saint, les membres sont unis et conformés au Christ Chef, Fils du Père et de Marie, de façon telle qu’"il faut qu’un vrai enfant de l’Église ait Dieu pour père et Marie pour mère" (Secret de Marie, n. 11).

Dans le Christ, le Fils unique, nous sommes réellement des enfants du Père et, dans le même temps, des enfants de Marie et de l’Église. Dans la naissance virginale de Jésus, c’est d’une certaine façon toute l’humanité qui renaît. À la Mère du Seigneur "on peut appliquer plus véritablement que saint Paul ne se les applique, ces paroles : "Mes petits enfants, vous que j’enfante à nouveau dans la douleur jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous" (Gal 4, 19). J’enfante tous les jours les enfants de Dieu, jusqu’à ce que Jésus Christ mon Fils ne soit formé en eux dans la plénitude de son âge" (Traité de la vraie dévotion, n. 33). Cette doctrine trouve sa plus belle expression dans la prière : "Ô Saint Esprit ! Donnez-moi une grande dévotion et un grand penchant vers votre divine Épouse, un grand appui sur son sein maternel et un recours continuel à sa miséricorde, afin qu’en elle vous formiez en moi Jésus Christ" (Secret de Marie, n. 67).

L’une des expressions les plus élevées de la spiritualité de saint Louis-Marie Grignion de Montfort se réfère à l’identification du fidèle avec Marie dans son amour pour Jésus, dans son service de Jésus. En méditant le célèbre texte de saint Ambroise : Que l’âme de Marie soit en chacun pour glorifier le Seigneur, que l’esprit de Marie soit en chacun pour exulter en Dieu (Expos. in Luc 12, 26 : PL 15, 1561), il écrit : "Qu’une âme est heureuse quand... elle est toute possédée et gouvernée par l’esprit de Marie, qui est un esprit doux et fort, zélé et prudent, humble et courageux, pur et fécond !" (Traité de la vraie dévotion, n. 258). L’identification mystique avec Marie est entièrement tournée vers Jésus, comme il l’exprime dans la prière : "Enfin, ma très chère et bien-aimée Mère, faites, s’il se peut, que je n’aie point d’autre esprit que le vôtre pour connaître Jésus et ses divines volontés ; que je n’aie point d’autre âme que la vôtre pour louer et glorifier le Seigneur ; que je n’aie point d’autre cœur que le vôtre pour aimer Dieu d’un amour pur et d’un amour ardent comme vous" (Secret de Marie, n. 68).

La sainteté, perfection de la charité

  1. La Constitution Lumen gentium ajoute encore :

"Cependant, si l’Église, en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride (cf. Ep 5, 27, Mt 22, 38), et qui est également le plus grand don de l’Esprit Saint (cf. 1 Co 13, 13), les fidèles du Christ, eux, sont encore tendus dans leur effort pour croître en sainteté par la victoire sur le péché : c’est pourquoi ils lèvent les yeux vers Marie comme modèle des vertus qui rayonne sur toute la communauté des élus" (LG n. 65).

Ainsi, dans ses Cantiques, saint Louis-Marie présente successivement aux fidèles l’excellence de la charité (Cantique 5), la lumière de la foi (Cantique 6) et la fermeté de l’espérance (Cantique 7). La sainteté est la perfection de la charité, de cet amour pour Dieu et pour le prochain qui est l’objet du plus grand commandement de Jésus.

Dans la spiritualité montfortaine, le dynamisme de la charité est en particulier exprimé à travers le symbole de l’esclavage d’amour de Jésus sur l’exemple de Marie et avec son aide maternelle. Il s’agit de la pleine communion à la kénosis du Christ ; une communion vécue avec Marie, intimement présente dans les mystères de la vie du Fils.

"Il n’y a rien aussi parmi les chrétiens qui nous

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