Jean de Matha, signe de la charité divine
Jean de Matha, né en 1160 à Faucon, en Provence, est ordonné prêtre en 1193. Marqué par une vision lors de sa première messe, il consacre ensuite sa vie à la libération des captifs et fonde l’Ordre de la Sainte Trinité pour racheter les esclaves détenus en terre d’Islam au moyen de collectes menées à travers toute l’Europe et de négociations avec les pouvoirs musulmans. Voyageur infatigable, médiateur courageux, il incarne une charité audacieuse et inventive. Mort à Rome le 17 décembre 1213, son œuvre perdure depuis plus de huit siècles.
Les raisons d'y croire
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Avec Félix de Valois, Jean fonde un ordre qui consacre un tiers de toutes ses ressources au rachat des captifs, ce qui en fait l’une des institutions d’aide humanitaire les plus structurées de tout le Moyen Âge. L’ordre Trinitaire a libéré des milliers de captifs pendant des siècles et existe encore aujourd’hui. Ses missions ont évolué, mais elles restent centrées sur la liberté et la dignité humaine. Ce type d’œuvre charitable, très durable et féconde, illustre l’idée que la foi produit des fruits bénéfiques visibles, l’un des critères évangéliques de la vérité : « On reconnaît l’arbre à ses fruits » ( Mt 7,16 ).
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Cette œuvre et sa mission sont inspirées par une vision que Jean reçoit alors qu’il célèbre sa première messe, le 28 janvier 1193. Les personnes présentes voient le visage de Jean resplendir d’une lumière surnaturelle et ses yeux se fixer au-dessus de l’autel sur un spectacle invisible. À la fin de la messe, il est assailli de questions, notamment par l’évêque de Paris, Maurice de Sully.
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Jean a accompli plusieurs guérisons et bénéficié d’aides inattendues lors de voyages dangereux. Ces signes confirment que sa mission n’était pas simplement humaine. Ils correspondent à la promesse évangélique que Dieu soutient ceux qui consacrent leur vie aux autres et manifestent la continuité entre les miracles bibliques et l’histoire chrétienne. Donnons l’exemple de la tempête.
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Lors d’un voyage vers Tunis, en 1202, entrepris par Jean de Matha pour négocier la libération de captifs chrétiens, une violente tempête se lève sur la Méditerranée. Le vent est si puissant que le navire prend l’eau et que le capitaine envisage d’abandonner la manœuvre. Mais la mer s’apaise « comme un lac », « immédiatement » après la prière et le geste de bénédiction de Jean. Les marins, hommes réputés réalistes et peu impressionnables, en témoignèrent, parfaitement convaincus : Jean avait reçu une grâce particulière pour accomplir sa mission. L’histoire apparaît dans les premiers documents hagiographiques rédigés par les Trinitaires au XIIIe siècle. Ajoutons que ce miracle est en continuité avec la scène évangélique de Jésus calmant la tempête.
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La bonté humaine ordinaire cherche généralement à aider dans la mesure du possible et s’oriente souvent vers les proches ou ceux dont on peut espérer un retour quelconque. Mais Jean de Matha va bien au-delà : il va volontairement au-devant de souffrances que l’homme ordinaire fuit. Il traverse la Méditerranée et pénètre en terre étrangère pour négocier avec des autorités hostiles, en se mettant en danger pour délivrer des inconnus. Jean de Matha rachète des captifs qu’il ne connaît pas, qu’il ne reverra pas et qui ne peuvent rien lui rendre.
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C’est parce qu’il n’agit pas seulement par compassion humaine, mais par obéissance à une vocation, grâce à la prière quotidienne et selon la conviction que chaque captif est le Christ lui-même : « J’étais prisonnier et vous m’avez visité » ( Mt 25,36 ). Dans le christianisme, l’amour du prochain découle de l’amour de Dieu, ce qui donne une force intérieure que la générosité ordinaire ne peut garantir. La persévérance de Jean de Matha dans son œuvre caritative, malgré les obstacles et les difficultés, n’est pas explicable par les seules forces humaines ; elle manifeste une grâce.
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Jean de Matha entraîne avec lui des disciples, des donateurs, des communautés entières, sans qu’il dispose de pouvoir politique ou militaire. Ce rayonnement n’est pas le résultat d’un simple charisme personnel ; cela vient de quelque chose de plus grand que l’homme.
En savoir plus
Jean de Matha (1160 – 1213), fondateur de l’ordre de la Très Sainte-Trinité pour la rédemption des captifs, demeure l’une des figures marquantes de la spiritualité médiévale. Né à Faucon (aujourd’hui Faucon-de-Barcelonnette) dans une famille aisée, il reçoit une formation solide avant de poursuivre ses études à l’université de Paris, où il devient maître en théologie. Ordonné prêtre, il célèbre sa première messe le 28 janvier 1193, dans la chapelle privée de Maurice de Sully, évêque de Paris.
Cet événement est déterminant pour son existence. Au moment de la consécration, lorsque Jean élève l’hostie, son visage devient radieux, illuminé d’une clarté surnaturelle ; ses yeux se fixent sur une réalité que ceux qui l’entourent ne voient pas. À la fin de la messe, interrogé avec insistance, il rapporte avec simplicité la vision qui vient de lui être accordée : « J’ai vu un ange tout blanc, avec un vêtement brillant, portant sur la poitrine une croix de couleur rouge et bleue. À ses pieds, il y avait deux esclaves chargés de chaînes, l’un maure, l’autre chrétien. Les mains croisées de l’ange reposaient sur les têtes des captifs, la droite sur le chrétien, la gauche sur le maure ; ils étaient à ses pieds dans la posture de suppliants. »
Le vêtement de l’ange, marqué de la croix rouge et bleue, préfigure l’habit que porteront les membres de l’ordre que Jean allait fonder pour secourir les prisonniers chrétiens retenus dans les territoires musulmans. Convaincu que cette vision constitue un appel divin, il cherche conseil auprès de Félix de Valois, qui devient son premier compagnon d’œuvre. Ensemble, ils entreprennent le pèlerinage à Rome pour soumettre leur projet au pape Innocent III. Le pape approuve alors la règle que les deux compagnons ont préparée, instituant en 1198 l’ordre de la Très Sainte-Trinité. Dès lors, Jean de Matha parcourt la France, l’Italie et l’Espagne pour établir des maisons trinitaires destinées à organiser les collectes, les négociations et les missions de libération. Il effectue aussi lui-même des missions en Afrique du Nord pour négocier la libération d’esclaves, ce qui implique des risques extrêmes. Son audace manifeste sa confiance radicale en Dieu.
Il termine sa vie à Rome, où il fonde le couvent de San Tommaso in Formis, dont le portail conserve encore la mosaïque emblématique de l’ange libérant les captifs. Jean de Matha meurt le 17 décembre 1213, laissant une œuvre durable qui marqua profondément l’histoire chrétienne de la charité et de la miséricorde.
Solveig Parent
Aller plus loin
Calixte de la Providence, Vie de saint Jean de Matha, fondateur de l’ordre de la Très Sainte Trinité pour la rédemption des captifs, 1883. Réédition moderne Hachette, 2018.
En complément
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Jean-Marie Prat, Histoire de saint Jean de Matha et de saint Félix de Valois, fondateurs de l’ordre de la Très Sainte Trinité pour la rédemption des captifs, Éditions Poussielgue-Rusand, 1846. Réédition moderne Hachette, 2013. Peut être consulté en ligne .
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Roseline Grimaldi-Hierholtz, L’Ordre des Trinitaires, Fayard, 1998. Histoire synthétique de l’ordre des Trinitaires depuis ses origines jusqu’à l’époque moderne.
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Le site officiel de l’ordre des Trinitaires , en anglais. On y trouve l’histoire institutionnelle, la règle de Jean de Matha, la mission actuelle de l’ordre…