
Le miracle des cloches d’Avignonet (1283)
En 1243, Avignonet est sous le contrôle du comte de Toulouse. Dans cette région, les cathares s’épanouissent sans crainte. Neuf religieux sont envoyés en visite à Avignonet afin de lutter contre l’hérésie. Dans la nuit du 28 au 29 mai 1243, le groupe est lâchement assassiné au domicile de son hôte. Deux d’entre eux, le dominicain Guillaume Arnaud et le franciscain Étienne de Saint-Thibéry s’enfuient et se réfugient dans l’église Notre-Dame, où ils sont rejoints et massacrés. À la suite de ce crime, selon le droit canonique, le sanctuaire profané est barricadé afin d’en interdire l’accès en attendant les cérémonies expiatoires qui le purifieront. Il en est encore ainsi en 1283. Alors, le Ciel s’en mêle.
Les raisons d'y croire
Nous sommes très bien renseignés sur l’ensemble des événements d’Avignonet, tant en 1243 qu’en 1283. Le récit du drame a été consigné avec précision dans le cadre de l’enquête menée pour rechercher les meurtriers, puis lors de l’enquête canonique. Les témoignages collectés sont fiables et argumentés.
Il est impossible de célébrer la messe dans un édifice où l’on a versé le sang. L’église est donc robustement barricadée, avec des planches clouées et des verrous. Pendant plus de quarante ans, ses portes demeurent fermées et les cloches, silencieuses.
Ce n’est qu’en 1283 que les habitants d’Avignonet demandent la « réconciliation » de la pauvre église pour qu’elle soit à nouveau ouverte au culte. Les démarches sont entreprises tardivement à Rome. Elles aboutissent au mois de juin. Mais, à Avignonet, personne ne le sait encore : il faudra évidemment des semaines avant que la nouvelle atteigne la ville. Pourtant, à l’instant où Alexandre IV appose sa signature sur l’acte, à plus de mille kilomètres de là, à Avignonet, les cloches de l’église interdite se mettent à sonner à toute volée.
Tous les habitants accourus constatent, ahuris, que les portes, auparavant barrées et cadenassées, sont désormais grandes ouvertes. Le système de barres qui interdisait si solidement l’accès a disparu.
Quant aux cloches, elles sonnent vingt-quatre heures d’affilée à toute volée, sans interruption, laissant tout loisir de constater que personne ne les active : elles sonnent toutes seules, incontestablement.
De ces faits impossibles, les autorités civiles et religieuses dresseront un procès-verbal, témoignages circonstanciés à l’appui.
À la suite de ce prodige, les habitants demandent à rebaptiser l’église « Notre-Dame des Miracles ».
Un autre miracle se produit peu après. Un matin, au milieu du va-et-vient des habitants, l’on découvre une statue de Notre Dame sur les marches de l’église. Personne n’a été vu apportant cette œuvre d’art, dont la qualité impressionne les Avignonetains. La statue est d’une beauté et d’une grâce telles qu’on l’appelle Notre-Dame la Belle. Comme l’on ne retrouva jamais ni le donateur ni l’artiste, on conclut à une livraison directement du Ciel.
En savoir plus
Fin mai 1243, les pères dominicains et franciscains Guillaume Arnaud, Étienne de Saint-Thibéry, Raymond de Costiran, Bernard de Roquefort, Garcia d’Aure, Raymond de Carbonier, Pierre d’Arnaud, Bernard Fortanier et Aymar prêchent à Avignonet. Continuateurs de saint Dominique et de saint Antoine de Padoue, ces religieux forment un tribunal de l’Inquisition, sans escorte et sans arme, peu adepte des bûchers et des supplices. Chacun d’entre eux est conscient du risque qui pèse sur ce voyage : dans ce contexte religieux et politique troublé, des curés ont été attaqués, un clerc a été jeté dans un puits... Mais leur désir de faire reconnaître la religion vraie est plus fort. Après une dizaine de jours dans la région, leur prédication porte du fruit et les conversions semblent se multiplier. Ils ignorent que leur hôte leur a tendu un piège et que, obéissant aux ordres du comte de Toulouse, Raymond VII, il va les faire assassiner.
Le crime a lieu dans la nuit du 28 au 29 mai. Lorsque les assassins déboulent dans le dortoir, ils trouvent les religieux en prière, à genoux, après s’être mutuellement donné l’absolution et résignés au martyre. C’est un massacre particulièrement affreux.
Accourus à la rescousse, quelques catholiques fidèles parviennent à arracher aux tueurs Guillaume d’Arnaud et Étienne de Saint-Thibéry, qu’ils cachent dans l’église Notre-Dame, lieu sacré où ils pensaient que les assassins n’oseraient pas les suivre ni violer le droit d’asile. Mais ce n’est pas le cas. N’hésitant pas à profaner le sanctuaire, les criminels achèvent leur besogne avec une telle violence que le bâtiment est éclaboussé de sang jusqu’à la voûte.
Nous trouvons l’écho des miracles qui accompagnent la mort des martyrs dans les écrits d’Étienne de Salagnac et de Géraud de Frachet (Vitae fratrum). Certains sont prémonitoires. Par exemple, quelques jours avant leur assassinat, l’un des religieux du groupe eut un songe qui fut immédiatement interprété comme l’annonce de leur martyre prochain : « Sachez, mes frères, que, dans peu de jours, nous serons exterminés pour la foi de Jésus-Christ. » D’autres miracles sont conséquents : il s’agit de la guérison de malades qui, de loin (de Carcassonne, de Mirepoix), se vouent aux martyrs, de pèlerins qui viennent prier au tombeau des martyrs et sont délivrés de leurs maux, ou de malades qui bénéficient du contact d’une relique (notamment une moniale de Prouilhe qui doit sa guérison à la pièce de vêtement d’un des martyrs, posée sur sa mâchoire).
Le pape Célestin IV canonisera les religieux martyrs d’Avignonet, dont la fête est célébrée le 29 mai.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Jean Dalbiga, « Le jubilé de Notre-Dame des miracles à Avignonet » dans la revue Notre-Dame, novembre et décembre 1936.
En complément
Vicomte de Juillac-Vignoles, Notices légendaires, historiques et architecturales des sanctuaires du diocèse de Toulouse consacrés à la Très Sainte Vierge Marie, 1867.
Anne Bernet, Notre-Dame en France, 52 pèlerinages, Édition de Paris, 2010.
La notice disponible en ligne de Bernard Montagnes et Maurice Prin : « Le tombeau des martyrs d’Avignonet aux Jacobins de Toulouse ».