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Une vague de charité unique au monde
Pologne, France, Roumanie
Nº 641
1873 – 1954

Prince Ghika, alias « sœur Vladimir » (+1954)

De confession orthodoxe, neveu du dernier prince de Moldavie et destiné à une carrière diplomatique, Vladimir Ghika embrasse la religion catholique alors qu’il n’a pas encore trente ans. Puis il renonce à la vie plaisante et aisée qu’il menait jusqu’alors à Paris pour s’occuper des pauvres gens et des malades. Ordonné prêtre à cinquante ans, il évangélise les agnostiques qu’il côtoie dans son quartier populaire, mais soutient aussi les milieux intellectuels catholiques. Revenu en Roumanie et accusé d’espionnage pour le compte du Vatican en 1948, il est maltraité en prison, où il meurt d’épuisement en 1954.


Les raisons d'y croire

  • Dix princes de la famille Ghika ont régné sur la Moldavie et la Valachie depuis 1657. Grégoire V fut le dernier : c’était le propre grand-père de Vladimir. Toutefois, à Paris, bien que le prince Ghika côtoie la haute société, sa préférence va aux pauvres et aux malades. Il est catholique depuis 1902 et se dévoue tant aux côtés des Filles de la Charité qu’on le surnomme « sœur Vladimir ».

  • C’est au terme d’un cheminement spirituel que Vladimir a décidé d’adhérer à l’Église catholique romaine. Il a reçu les sacrements orthodoxes et a aussi fréquenté le culte protestant, mais, depuis l’époque du lycée, il se reconnaît « catholique d’esprit et de cœur » ; le catholicisme l’a séduit à la fois par sa beauté et sa bonté, et convaincu par la vérité de ses dogmes. Comme un moine orthodoxe lui demande plus tard pourquoi il s’est converti au catholicisme, il répond : « Pour devenir plus orthodoxe. »

  • Il est persuadé que la division entre les catholiques et les orthodoxes ne peut être résolue que par la reconnaissance de la primauté du pape. Il œuvre ainsi toute sa vie pour la réunion des orthodoxes à l’Église catholique romaine, qui appelle tous les chrétiens à la rejoindre.

  • Dans le dispensaire qu’il a fondé à Bucarest en 1906, le prince Ghika fait office de catéchiste auprès des âmes. Avant de commencer les visites quotidiennes, il formule cette prière : « Seigneur, je vais aller trouver un de ceux que vous appelez "d’autres vous-même". Faites que cet instant passé auprès de lui, en cherchant à lui faire du bien, porte pour lui comme pour moi des fruits de vie éternelle. »

  • En 1913, avec sœur Pucci, une Fille de la Charité, il organise une aide destinée aux victimes du choléra. Il les visite chez eux, au risque de contracter lui-même la maladie, et se met au service des plus pauvres. Il donne un jour de sa peau pour permettre une greffe au visage sur un accidenté au corps brûlé. Il pratique en un mot ce qu’il appelle « la liturgie du prochain » : rien ne rend Dieu proche comme le prochain. Toute souffrance d’un homme peut être réduite par la générosité surnaturelle des autres.

  • En 1924, à Auberive, dans une ancienne abbaye cistercienne du diocèse de Langres, l’abbé Ghika fonde une communauté de vie apostolique inspirée de saint Jean l’Évangéliste. Un jour, une bouillotte métallique remplie d’eau bouillante posée trop brutalement sur un marbre froid explose et brûle gravement au visage une jeune religieuse, sœur Marie-Louise Durant. Les chairs de son menton et de ses lèvres se décomposent. Le supérieur de la maison, l’abbé Ghika, prie longtemps auprès du lit où repose la religieuse blessée. Le lendemain, le médecin est stupéfait de constater que les tissus se sont raffermis et que les yeux peuvent s’ouvrir. Trois jours après, sœur Marie-Louise est complètement remise. Lorsqu’elle mourra, en 1975, on constatera que ses pommettes sont roses comme celles d’un enfant.

  • Le 18 novembre 1952, alors qu’il se rend à Bucarest au chevet d’un mourant, il est arrêté avec d’autres personnes, victimes comme lui de la persécution religieuse. Il est soumis à un interrogatoire sévère, subit un procès militaire truqué et est déclaré coupable d’espionnage pour le compte du Vatican. Il est condamné par le régime communiste à trois ans de prison pour haute trahison. La prison de Jilava, près de Bucarest, devient la dernière demeure terrestre du serviteur de Dieu. Épuisé par les souffrances et les mauvais traitements, il meurt le 16 mai 1954.

  • La prison ruisselle d’humidité et le froid de l’hiver fait grelotter les prisonniers. Il a quatre-vingts ans. Son grand âge ne lui a pas épargné les brimades morales et les tortures physiques : au cours d’interrogatoires nocturnes qui le privent de sommeil, il est insulté, maculé d’excréments, giflé et battu jusqu’au sang. On le laisse en sous-vêtements, sans linge de rechange.

  • Même dans ce lieu de punition, malgré les privations, les mauvais traitements et les tortures, il fait preuve d’une charité extraordinaire envers les détenus, qui se tournent vers lui pour obtenir un soutien spirituel, intellectuel et physique. Comme saint Paul sous les verrous, il professe encore avec douceur que « rien n’est plus honorable que d’être détenu pour la cause de Jésus-Christ ». Il se montre un témoin de la douceur évangélique et un modèle d’inflexibilité dans son affirmation de la foi au Christ.


En savoir plus

Vladimir Ghika naît le 25 décembre 1873 à Constantinople. Son père est le prince général Ioan Grigore Ghika, envoyé en mission diplomatique pour la Roumanie à la cour de la Sublime Porte (l’Empire ottoman), puis ambassadeur à Paris à partir de 1878. Comme tous ses frères et sœurs – il est le cinquième d’une fratrie de six – Vladimir reçoit les sacrements de l’Église orthodoxe sous la direction de sa mère, la princesse Alessandra Moret de Blaramberg.

À l’âge de huit ans, il perd son père. La princesse Alexandra inscrit alors Vladimir et son frère Demeter au lycée de Toulouse. Parce qu’il ne se trouve pas d’église orthodoxe en ville, leur gouvernante les conduit au temple, mais Vladimir est rebuté par la froideur du culte protestant. Il découvre alors par ses amis de lycée le catholicisme, qui le séduit et le convainc. Il aurait aimé dès cette époque entrer dans l’Église catholique et faire sa première communion, mais sa mère s’y oppose.

Jeune homme, il s’installe à Paris avec son frère Demeter pour y étudier les sciences politiques. Il obtient une licence de droit. Il projette en effet une carrière diplomatique. Mais il s’intéresse à toutes choses avec succès et suit aussi simultanément des cours de médecine, de botanique, d’art, de philosophie et d’histoire. Cependant, en 1893, une angine de poitrine l’empêche d’achever ces études. Vladimir rejoint en 1898 son frère à l’ambassade roumaine en Italie.

En 1902, après sa conversion au catholicisme, il se sent appelé au sacerdoce. Sa mère, orthodoxe, s’en inquiète. Elle lui reproche d’être infidèle aux traditions de ses aïeux. Vladimir lui répond doucement qu’ils sont devenus orthodoxes sans le savoir et que la source et l’origine de l’orthodoxie sont le catholicisme. Mais sa mère s’en ouvre au pape saint Pie X, qui conseille à Vladimir d’attendre afin d’épargner à cette dernière une cruelle désillusion. Vladimir obéit, mais entend tout de même suivre les études préparatoires au sacerdoce. Il s’inscrit à l’université romaine Saint-Thomas-d’Aquin, dite Angelicum, tenue par les pères dominicains, où il obtient une licence en philosophie et le titre de docteur en théologie. À Paris, il se lie avec les élites catholiques françaises de l’époque, dont les Maritain.

En France, à partir de 1919, il s’installe à Paris, où son frère a été nommé ambassadeur de Roumanie. Il prend part au renouveau intellectuel chrétien aux côtés de son ami Jacques Maritain, d’Emmanuel Mounier, de Paul Claudel, de Charles Du Bos et d’autres intellectuels catholiques qui se retrouvent autour de Jacques et Raïssa Maritain et des bénédictines de la rue Monsieur.

Sur le plan diplomatique, il agit pour le rétablissement des relations entre le Saint-Siège et la France, ce qui lui vaudra la Légion d’honneur.

Jusqu’à l’âge de cinquante ans, il poursuit en tant que laïc cette vie de charité en faveur des pauvres et des malades, de diplomatie et de travail intellectuel, tout en se préparant à la prêtrise. Car le prince sait que la messe a une efficacité extrême pour la conversion et la sanctification des âmes : la messe renouvelle le sacrifice de la Croixet en applique les fruits aux hommes. Il connaît par la foi la valeur de la messe, infiniment supérieure à celles de toutes les autres œuvres humaines.

Le 7 octobre 1923, à Paris, il reçoit l’ordination sacerdotale des mains du cardinal Dubois, archevêque de Paris, en présence du gotha européen. Il est immédiatement chargé de s’occuper des nombreux réfugiés qui affluent continuellement dans la capitale française : il commence ainsi une œuvre d’évangélisation dans la banlieue parisienne, en vivant pauvrement avec les pauvres. Tout besoin rencontré sur sa route est pour lui une visite de Dieu. Il confesse dans « l’église des étrangers » de la rue de Sèvres – l’actuelle église Saint-Ignace des Jésuites –, où il ramène à la foi de nombreuses âmes égarées, y compris des satanistes. Il célèbre, avec la permission du pape, selon les deux rites, latin et byzantin. Il veut ainsi œuvrer à la réunion des orthodoxes à l’Église de Rome, qui appelle tous les chrétiens à la rejoindre.

L’abbé Ghika souhaite ensuite aller vivre dans une banlieue pauvre de Paris, où l’absence de Dieu est la plus sensible. Encouragé par l’évêque auxiliaire de Paris, Mgr Chaptal, il s’installe dans un cabanon qu’il érige à Villejuif. Il y aménage une chapelle de fortune. Cette chapelle donnera naissance, mais plus loin, à l’église Sainte-Thérèse, bâtie par l’Œuvre des Chantiers du Cardinal. À Villejuif, Vladimir Ghika vit pauvre parmi les pauvres, non sans avoir d’abord essuyé injures et mauvais traitements.

Prêtre, il continue de soutenir les milieux intellectuels catholiques. En 1931, le pape Pie XI le nomme protonotaire apostolique et membre du comité directeur des congrès eucharistiques, ce qui lui vaudra de parcourir les cinq continents. Il donne des conférences. Il prie sans se lasser, au point d’obtenir de son vivant des guérisons inexpliquées. Avec une infinie bonté et une disponibilité à tous les appels des âmes, il obtient de nombreuses conversions, tout au long de sa vie.

Il projetait d’ouvrir une léproserie en Roumanie lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate. Il demande alors à l’archevêque de Paris la permission de rester en Roumanie, qui lui est accordée. Après l’invasion de la Pologne par les nazis et les communistes, il prend soin des réfugiés, en liaison avec la nonciature apostolique, c’est-à-dire l’ambassade du Saint-Siège à Bucarest. Il se dépense sans compter. En 1948, la monarchie roumaine tombe. Beaucoup fuient le régime communiste qui s’installe, mais Vladimir Ghika décide de nouveau de ne pas quitter son pays. Il fait parvenir au Saint-Siège des rapports sur les persécutions en Roumanie contre l’Église gréco-catholique (l’Église de rite byzantin unie à Rome) et romano-catholique (l’Église de rite latin). Le gouvernement communiste veut en effet les supprimer. À Bucarest, Mgr Ghika devient le réconfort des fidèles gréco-catholiques en proie à la pire des persécutions. Il veut préserver leurs liens avec Rome. Lui-même souffre beaucoup : il est affaibli. Mais il estime que c’est surtout lorsqu’on se sent anéanti sous une lourde peine qu’il est nécessaire de chercher à soulager celle des autres : c’est alors qu’on donne Dieu et qu’on le trouve. « Si tu sais prendre sur toi la douleur d’autrui, le Seigneur prendra sur lui la tienne et la fera sienne, c’est-à-dire ouvrière de salut », écrit-il.

Après sa mort, à la prison de Jilava, il est immédiatement enterré. Mais la nouvelle parvient la même année à Paris, où ses enfants spirituels organisent la première grande manifestation en sa mémoire. En 1968, sa dépouille est transférée au cimetière orthodoxe de Bellu, à Bucarest. Vladimir Ghika est béatifié le 31 août 2013 en tant que martyr de la foi.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Aller plus loin

Francisca Baltaceanu et Monica Brosteanu, Vladimir Ghika, professeur d’espérance, Paris, Cerf, coll. « L’histoire à vif », 2013, 494 p. Cette biographie a bénéficié des récentes recherches entreprises aux archives roumaines, comme auprès de témoins encore vivants, compagnons de prison de Mgr Ghika.


En complément

  • Vladimir Ghika : Entretiens spirituels, Paris, Beauchesne, 1961, 192 p. ; Pensées pour la suite des jours, Paris, Beauchesne, 1969, 184 p. ; Derniers témoignages, Paris, Beauchesne, 1970, 110 p.

  • Le Dicastère pour la cause des saints présente la lettre apostolique pour la béatification , advenue le 31 octobre 2013.

  • Jean Daujat, L’apôtre du XXe siècle : monseigneur Ghika, Paris, Nouvelles éditions latines, 1962.

  • Une bande dessinée illustre la vie de Mgr Ghika : Gaëtan Evrard et Louis-Bernard Koch, Monseigneur Vladimir Ghika, vagabond apostolique, Éditions du triomphe, 2020.

  • L’association « Bienheureux Vladimir Ghika » présente une courte biographie, une bibliographie, des documents photographiques, etc.

  • Un enregistrement audio , diffusé par l’abbaye Saint-Joseph de Clairval, expose la vie et l’œuvre de Mgr Ghika.

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