
Sainte Gianna Beretta Molla donne la vie, au prix de la sienne (+1962)
Gianna Beretta Molla naît le 4 octobre 1922 à Magenta, près de Milan, en Italie, dans une famille profondément catholique. Elle est la dixième de treize enfants. Dès son plus jeune âge, elle reçoit de ses parents un solide témoignage de charité chrétienne qui façonne profondément sa vie et ses décisions futures. Dieu est premier servi dans tout ce qu’elle entreprend. Peu épargnée par les sacrifices – perte prématurée d’une sœur et de ses parents, contexte de la guerre et difficultés de santé –, Gianna a tout de même une énergie débordante. Elle devient docteur en médecine et en chirurgie, ouvre un dispensaire et se spécialise en pédiatrie pour être au service des mamans, des enfants et des pauvres.
Ce qui rend son histoire particulièrement remarquable est qu’elle est l’une des premières femmes actives modernes à être canonisée, représentant un pont entre l’agir chrétien, la vie professionnelle contemporaine et la maternité. En effet, Gianna se marie avec Pierre Molla ; elle est comblée de découvrir la fécondité du mariage tout en poursuivant son travail de médecin. Ses actes quotidiens de prière et de charité, nourris de l’eucharistie, deviennent peu à peu un terreau favorable à l’héroïsme : Gianna donnera sa vie pour son quatrième enfant, couronnant par cet acte toute une vie d’abandon dans la foi.
Les raisons d'y croire
Son choix d’étude se dirige vers la médecine car, écrit-elle, « c’est le meilleur moyen de faire du bien aux autres ». Elle poursuit ainsi son désir d’imiter Jésus, qui semble lui dire : « J’étais malade, et vous m’avez visité » ( Mt 25,36 ).
Elle explique : « Tout comme les prêtres peuvent toucher Jésus, nous, médecins, pouvons le toucher à travers nos patients. » Ce travail est donc pour elle un apostolat : elle ne se contente pas de travailler pour vivre, mais donne de son temps et de ses talents au-delà des attentes. Notamment, elle ne fait pas payer les familles pauvres.
Gianna n’a absolument pas perdu la foi pendant ses études scientifiques. Elle continue de prier le rosaire et de communier quotidiennement, sa « nourriture indispensable de chaque jour », et s’engage comme bénévole à l’Action catholique et à la Conférence Saint-Vincent-de-Paul.
Des événements, apparemment insignifiants, la préparent à sa destinée future. En tant que médecin d’abord, elle avait déjà été amenée à réfléchir : « Tuer l’enfant est-il autorisé pour éviter deux morts ? Le médecin catholique ne peut pas. » Ensuite, après avoir assisté à la canonisation de Maria Goretti à Rome, en 1954, elle en retire l’enseignement que « la vie est belle lorsqu’elle est donnée pour de grands idéaux et que, pour y arriver, il faut savoir mourir. »
En sa qualité de médecin, Gianna comprend parfaitement les enjeux auxquels elle est confrontée durant sa quatrième grossesse. Les médecins détectent une tumeur utérine qui met en danger la vie de la mère comme celle de l’enfant. Une intervention chirurgicale urgente avec ablation de l’utérus permettrait de sauver Gianna. Poursuivre coûte que coûte la grossesse n’apporte pas la garantie de la mener à terme, mais implique qu’il sera ensuite trop tard pour sauver Gianna.
Dans notre société actuelle, le sacrifice de la maman peut paraître vain, absurde, voire irresponsable. Mais Gianna sait que ça ne l’est pas, car elle a conscience que la vie de ce monde ne pèse guère en regard de l’éternité. Elle prend délibérément le risque de perdre sa vie plutôt que de mettre en danger celle de son enfant. « Si vous devez choisir entre moi et l’enfant, aucune hésitation : choisissez, et je l’exige, l’enfant. Sauvez-le, lui. »
Elle a la force extraordinaire de tenir sa décision jusqu’à l’accouchement. À aucun moment, ni pendant la grossesse ni après la naissance de sa petite fille, sa foi ne défaille. Elle endure pourtant des souffrances atroces dues à sa péritonite. Elle refuse tout calmant pour rester lucide, reçoit la communion et ne prononce que ces mots : « Jésus, je t’aime. » Gianna rejoint le Père le samedi 28 avril 1962 dans l’octave de Pâques, sept jours après la naissance de sa fille.
Les deux miracles reconnus par l’Église pour les procès en béatification puis en canonisation de Gianna concernent deux mamans qui ont rencontré des complications graves au cours de leur grossesse. Leurs bébés ont été miraculeusement sauvés. Ces deux femmes sont originaires du Brésil, où Gianna souhaitait devenir missionnaire, comme un clin d’œil à ce désir désormais exaucé.
En savoir plus
Gianna Beretta Molla est une sainte du quotidien. « Une sainte populaire, simple, accessible à tous », dira d’elle le cardinal Martini. Car elle est une sainte « du sérail », provenant d’une famille où la pâte est pétrie d’amour du Christ, depuis des générations, par leur engagement chez les tertiaires franciscains. Elle est donc à son tour un levain, aspirée par une sorte de spirale familiale vertueuse, initiée dès le plus jeune âge par des actes de charité. Elle subit également plusieurs épreuves qui façonnent sa conscience et son désir d’être toujours unie au Christ : la mort d’une de ses sœurs aînées, Amalia, âgée de vingt-six ans, puis de sa mère et de son père à quatre mois d’intervalle… Ces événements renforcent encore son recours à la prière du chapelet, à la communion quotidienneet aux visites fréquentes au saint sacrement.
Trois de ses frères et sœurs entrent en religion, deux prêtres et une religieuse, et Gianna aura le désir de rejoindre son frère missionnaire au Brésil, mais elle saura voir la volonté de Dieu dans le fait que sa santé ne le lui permettrait pas : « Notre bonheur terrestre et éternel dépend du fait de bien suivre notre vocation. » Sa vocation pour la médecine semble s’inscrire dans une tradition familiale, puisque plusieurs membres de sa famille ont choisi cette voie. Cela semble donc tout naturel pour elle, qui cherche par-dessus tout à aider les autres, en particulier dans le contexte de la guerre qui éclate en 1939. Elle apportera son aide au cours de cette période à une multitude de personnes, alors qu’elle n’est encore qu’étudiante. Son engagement dans l’Action catholique la guide depuis son enfance et lui offre un cadre pour mettre à profit ses talents. L’une de ses amies dira d’elle : « Gianna offrait son sourire ouvert, rempli de douceur et de calme, reflet de la joie sereine et profonde d’une âme paisible. » Sa joie rejaillit souvent dans les témoignages. Malgré le contexte sociétal difficile, elle rayonne et transmet cette joie aux autres.
Diplômée en 1949, elle est appelée par les services sociaux de l’Œuvre nationale Maternité et Enfance, parce qu’ils ont repéré qu’elle ne compte pas ses heures… Elle assure aussi le rôle de médecin scolaire dans plusieurs établissements, tout en poursuivant sa spécialité en pédiatrie, qu’elle choisit parce que la situation des mères et des enfants est désastreuse dans cette période d’après-guerre. Elle ouvre à Mesero son dispensaire et se donne pendant cinq années au service des malades.
Le mot « agir » revient souvent dans ses notes personnelles. Cependant, elle n’est pas gagnée par l’écueil du volontarisme. Elle met sa foi en pratique, en veillant toujours à ne pas oublier la prière : « Rappelons-nous que l’apostolat se fait surtout à genoux », c’est-à-dire en priant.
C’est dans ce contexte qu’elle rencontre Pietro Molla, le 8 décembre 1954, qui sera l’homme de sa vie. Ils sont tous les deux en pleine harmonie, désirant par-dessus tout que leur mariage soit le reflet de l’amour divin et que l’un et l’autre s’entraident pour devenir saints. Pendant leurs fiançailles, Gianna propose à Pietro de faire chacun de leur côté un triduum pour se préparer à recevoir le « sacrement de l’amour ». Ils se marient en 1955 et, très vite, naissent l’un après l’autre à Ponte Nuovo trois « véritables trésors » : Pierluigi en 1956, Maria Zita (Mariolina) en 1957 et Laura en 1959, tous les trois nés dans la maison de Ponte Nuovo. Entre eux, les époux vivent une relation amoureuse touchante et incarnée. Ils comprennent parfaitement que le mariage est leur voie de sainteté ; c’est pourquoi ils recherchent cet idéal de façon incarnée dans leur relation conjugale.
Ils s’écrivent dès qu’ils se trouvent séparés par les obligations professionnelles, pour se partager leur quotidien. Pendant les absences de Pietro, Gianna n’omet pas de parler de lui à ses enfants, et de lui communiquer les moindres détails, joies ou difficultés les concernant. Elle apprend beaucoup au contact de ses enfants et n’hésite pas à partager à ses proches comment elle vit la maternité et l’éducation. On se rend compte ainsi qu’elle vit les situations communes à toutes les mères (fatigue, inquiétudes…) avec beaucoup d’abnégation et de joie profonde. « Ma femme avait une confiance vraiment infinie dans la providence. C’était une femme pleine de joie de vivre. Heureuse. Elle aimait sa famille et sa profession de médecin. Sa maison. La musique. Le théâtre. La montagne. Les fleurs. »
À l’été 1961, enceinte de son quatrième enfant, Gianna se rend rapidement compte, en tant que médecin, que quelque chose ne va pas. Une grosseur se développe de jour en jour, avec l’embryon dans l’utérus. Il faut opérer pour retirer ce fibrome bénin qui menace la mère et l’enfant. À l’hôpital San Gerardo de Monza, on lui propose trois solutions : une laparotomie qui consisterait à retirer l’utérus et le fœtus, la rendant stérile ; retirer le fibrome et le fœtus en conservant l’utérus, ce qui sauverait la mère mais pas l’enfant ; retirer uniquement le fibrome en préservant le fœtus, ce qui sauverait l’enfant mais exposerait la mère à un risque certain de mort à la naissance.
Évidemment, en cohérence avec toute sa vie de foi et dans l’espérance, Gianna opte sans hésitation pour la troisième possibilité : sauver l’enfant à tout prix. En tant que médecin, elle a parfaitement conscience du danger pour elle, mais, dit-elle, « quoi qu’ils me fassent, je l’accepterai, pourvu qu’on sauve le bébé ».
Cette décision, Gianna peut naturellement la prendre aussi grâce à son mari. Leur amour mutuel est tel qu’elle sait pouvoir compter sur lui ; c’est pourquoi Pietro la respecte dans ce choix décisif, malgré tout ce que cela impliquera de sacrifice pour lui et ses autres enfants. « Elle me dit explicitement, se souvient son mari Pietro, d’un ton ferme et en même temps serein, avec un regard profond que je n’oublierai jamais : "Si vous devez choisir entre moi et l’enfant, aucune hésitation : choisissez – et je l’exige – l’enfant. Sauvez-le, lui." » L’opération réussit et Gianna est apaisée pour son enfant. Les sept mois qui la séparent de la naissance sont l’occasion pour elle de tout préparer courageusement. Confessions et communions lui apportent de la sérénité. L’après-midi du 20 avril 1962, Vendredi saint, Gianna est de nouveau admise à l’hôpital San Gerardo de Monza, où l’accouchement est provoqué par voie naturelle, considérée comme la voie la moins risquée, mais sans succès.
Le matin du 21 avril, Samedi saint, elle donne naissance à Gianna Emanuela par césarienne, poursuivant l’offrande de sa vie, unie à celle de son Jésus. En effet, quelques heures seulement après l’accouchement, l’état général de Gianna s’aggrave : fièvre de plus en plus élevée et douleurs abdominales atroces dues à une péritonite septique. Sa sœur, mère Virginia est rentrée inexplicablement et providentiellement d’Inde et peut l’assister dans son agonie : « Gianna ne dévoilait que rarement ses souffrances. Elle a refusé tout calmant pour être toujours consciente de ce qui se passait et être présente à elle-même. Non seulement cela, mais pour être lucide dans sa relation avec son Jésus, qu’elle invoquait constamment. » « Tu ne saurais quel réconfort j’ai reçu en embrassant ton Crucifix !, lui dit Gianna. Oh, si Jésus n’était pas là pour nous consoler dans certains moments ! ».
Malgré tous les soins prodigués, son état s’aggrave de jour en jour. Mère Virginia se souvient : « Elle puisait la force de son savoir souffrirdans la prière intime manifestée par de brèves expressions d’amour et d’offrande : "Jésus je t’aime", "Jésus je t’adore", "Jésus aide-moi", "Maman, aide-moi", "Marie…", suivies de réflexions silencieuses. » Elle désire recevoir Jésus Eucharistie tous les jours, mais, à cause des vomissements incoercibles, à son grand regret, pour ne pas manquer de respect au Seigneur, elle se contente de recevoir sur les lèvres une infime partie de l’hostie. Mère Virginia est présente au chevet de Gianna : « Courage, Gianna, Papa et Maman sont au Ciel qui t’attendent : es-tu contente d’y aller ? » « Dans le mouvement de ses cils, on put lire son adhésion complète et aimante à la volonté divine, bien que voilée par la peine de devoir quitter ses enfants bien-aimés, encore si petits. Gianna, comme son Jésus, se remit au Père. » À l’aube du 28 avril, samedi in albis, elle est ramenée, selon son désir précédemment exprimé à son mari Pietro, dans sa maison de Ponte Nuovo, où elle meurt à huit heures du matin. Elle n’avait que trente-neuf ans.
De nombreuses associations de différents pays commencent à la prier à l’occasion de difficultés de grossesse ou d’éducation des enfants, ainsi que pour la défense de la vie humaine, de la conception à la mort naturelle. Sa fille, Gianna Emanuela est sollicitée pour témoigner. On se bouscule pour l’écouter remercier sa mère de lui avoir donné deux fois la vie, selon son expression : à la conception et à la naissance, par le sacrifice de sa mère. Assez vite, Gianna est désignée comme un intercesseur privilégié auprès du Christ, ce qui ne tarde pas à porter des fruits concrets et des miracles.
Elle est béatifiée par le pape Jean-Paul II le 24 avril 1994, le jour de la fête des Mères, en présence de son mari et de ses quatre enfants. Sa canonisation a lieu le 16 mai 2004, sur la place Saint-Pierre, à Rome, devant plus de 100 000 fidèles. Cette canonisation rapide, trente ans après sa mort, reflète la reconnaissance de son exemple exceptionnel de sainteté dans la vie quotidienne, dans une société en pleine révolution socioculturelle, où les débats pour dépénaliser l’avortement font rage, où le sacrifice d’une mère pour son enfant est signe de contradiction face au « Mon corps m’appartient » scandé dans les rues.
L’héritage humain et spirituel qu’elle lègue ainsi inspire désormais les professionnels de la santé, les mères du monde entier et les défenseurs de la vie, en particulier les enfants à naître. En France, 1994 est l’année de la promulgation des premières lois de bioéthique et 2004 de leurs premières révisions. Une invitation à lui confier les dérives transgressives de ces lois.
Élisabeth de Sansal, pigiste, a étudié la bioéthique pendant quatre ans à Rome.
Au delà
Dieu nous donne des saints pour nous transmettre des messages, pour attirer notre attention sur certains aspects de la foi. Gianna Beretta Molla entre en agonie le Vendredi saint de l’année 1962, s’unissant au chemin de Croix du Christ. Sa petite fille naît le Samedi saint, jour consacré à la Sainte Vierge dans l’espérance de la résurrection. Elle meurt le samedi 28 avril 1962, dans l’octave de Pâques. C’est le samedi « in albis deponensis ». Tout un symbole, si l’on considère que c’était le jour où l’on retirait les vêtements blancs des nouveaux baptisés de la nuit de Pâques, envoyés en mission pour annoncer la Bonne Nouvelle. Ce peut être une belle signification de penser que l’habit blanc de Gianna était sa blouse blanche de médecin, sa « tenue de service », au service de la vie, qu’elle dépose pour entrer dans la vie éternelle.
Puissions-nous porter chacun notre tenue de service par amour pour Dieu et prier comme Gianna l’écrit à seulement quinze ans : « Ô mon Jésus, je te promets de me soumettre à tout ce qui, par ta permission, me parviendra. Je te supplie uniquement de connaître ta volonté. Mon très doux Jésus, Dieu infiniment miséricordieux, Père très tendre des âmes, et en particulier des plus faibles, des plus misérables, des plus malades. Tu les portes avec une tendresse particulière dans tes bras divins. Je viens vers toi pour te demander, par l’amour et les mérites de ton sacré cœur, la grâce de comprendre et d’accomplir toujours ta volonté, la grâce d’avoir confiance en toi, la grâce de m’abandonner sans crainte à tes bras divins, dans le temps et l’éternité. Amen. »
Aller plus loin
Thierry Lelièvre, Bienheureuse Jeanne Beretta Molla. Médecin, mère de famille jusqu’au bout, Pierre Téqui, 2005 (vie de Gianna Beretta Molla, mettant en lumière son héroïsme en tant que médecin, d’épouse et de mère).
En complément
Valentina Di Marco, Un couple exemplaire. Sainte Jeanne Beretta et Pietro Molla, Éditions Peuple Libre, 2023 (sur la relation exemplaire d’amour conjugal et de foi partagée entre Gianna et son mari Pietro).
Carlo Maria Martini, Jeanne Beretta Molla. La fécondité de l’amour, Parole et Silence (méditations sur l’amour maternel et le sacrifice).
La vidéo YouTube d’Arnaud Dumouch : « La vie de sainte Jeanne Beretta Molla, patronne des femmes enceintes et des enfants à naître († 1962) ».
La conférence du père Michel-Marie Zanotti-Sorkine, sur sa chaîne YouTube : « Sainte Jeanne Beretta Molla ».
Sur le site Internet du Vatican, la biographie de Gianna Beretta Molla et l’homélie prononcée par Jean-Paul II le jour de sa canonisation.