
Le pacte de la comtesse Molé avec la Croix de Jésus-Christ (+1825)
Issue de l’aristocratie, née dans une famille restée profondément catholique, Élisabeth de Lamoignon épouse en 1779, à seize ans, un jeune homme de son milieu, Mathieu Molé de Champlatreux. Cinq enfants naissent dans ce foyer uni et heureux. Élisabeth place sa confiance dans le Seigneur, de qui elle reçoit la force pour surmonter la mort de plusieurs personnes qui lui sont chères et la misère causée par la Révolution.
Les raisons d'y croire
En 1784, elle se sent pressée par le Seigneur d’établir une alliance avec lui, un « pacte avec la Croix de Jésus-Christ ». Cette grâce mystérieuse lui sera plus tard d’un grand secours. La jeune mère a déjà le sentiment que sa vie sera marquée par des peines, des deuils et des souffrances. Au lieu de se révolter, elle accepte d’avance, consciemment et librement, toutes les croix à venir pour l’amour du Christ et le salut des âmes.
Sensible à la misère des autres, la comtesse se met au service des plus démunis, si bien qu’ils l’appellent « l’ange des mansardes ». Pendant le terrible hiver 1788-1789 – l’un des plus froids que la France ait connus –, elle organise un secours aux nécessiteux avec l’aide de l’abbé de Pancemont, curé de Saint-Sulpice, et d’autres paroissiennes.
En 1793, son époux est arrêté. Après plusieurs mois d’incarcération, il est condamné à mort par le tribunal révolutionnaire et guillotiné le jour de Pâques 1794, désormais non férié dans la France déchristianisée de la Terreur. Pour Élisabeth, cette date a une signification qui l’aide à surmonter cette tragédie.
Élisabeth est libérée après la chute de Robespierre ; elle est épargnée de manière quasi miraculeuse car, en ces mois d’extrême violence révolutionnaire, la condamnation d’un membre d’une famille entraîne d’ordinaire celle de tous ses proches.
Élisabeth n’est pas au bout de ses peines : la Révolution envoie aussi l’un de ses frères au peloton d’exécution, entraîne la mort de sa fille de quatre ans et confisque sa fortune. C’est au milieu de ces deuils répétés qu’Élisabeth se raccroche au « pacte avec la Croix » : l’acceptation aussi sereine et résignée que possible de ses malheurs.
En 1803, Mgr de Pancement, son ancien curé devenu évêque de Vannes, lui écrit : « Venez, Madame. Dieu vous attend pour commencer son œuvre. » À quarante ans, Élisabeth accepte de bouleverser sa vie et de quitter son univers familier. Elle ignore ce qui lui sera demandé, mais elle ne se dérobe pas à l’appel et part pour la Bretagne.
C’est que, bien des années auparavant, pendant une retraite spirituelle, il avait semblé à Élisabeth ressentir l’appel de Dieu à la vie religieuse. Mais, étant mariée et mère, c’était alors une chose qui paraissait absurde, impossible à exaucer. Elle ne savait comment s’accomplirait la volonté divine, mais elle avait réussi à obéir et à attendre, démontrant sa confiance en Dieu et son abandon à la providence. Il a fallu attendre quatorze années pour que cet étrange appel prenne sens et s’accomplisse.
Devenue en religion mère Saint-Louis, elle fonde la congrégation des Sœurs de la Charité de Saint-Louis, une œuvre de charité et d’éducation pour les jeunes filles du port de la Rabine, à Vannes. Le développement de cette œuvre témoigne de la fécondité de sa vie de fondatrice, unie au Christ. À son décès, le 4 mars 1825, la congrégation compte une cinquantaine de religieuses. Aujourd’hui, la congrégation compte plus de 630 religieuses sur trois continents.
Marcel Lesage, jeune Québécois, est atteint d’une maladie des os incurable. Cet état s’aggrave, si bien qu’en 1962, une amputation de son bras gauche est prévue en urgence. De nombreux témoins ont vu son bras « tout violacé, avec une grosse bosse en dessous ». Or, la sœur de Marcel est élève chez les Sœurs de la Charité de Saint-Louis, qui décident de prier avec les enfants par l’intercession de leur fondatrice pour empêcher l’amputation prévue le lendemain matin. La guérison inespérée de l’ostéomyélite chronique dont souffrait Marcel Lesage se produit dans la nuit et l’amputation est annulée. Ce miracle permet la béatification d’Élisabeth de Lamoignon, célébrée à Vannes en 2012.
En savoir plus
Fille du garde des Sceaux de Louis XV, Chrétien-François de Lamoignon, et de Marie Élisabeth Berryer, Marie-Louise Élisabeth de Lamoignon naît à Paris le 3 octobre 1763 dans l’hôtel particulier de sa famille. Elle reçoit une éducation chrétienne. Sa pratique religieuse se renforce considérablement grâce au nouveau curé de sa paroisse, Saint-Sulpice, l’abbé de Pancemont, qui devient son directeur de conscience. Sous sa conduite, Élisabeth, tout en s’adonnant à des activités caritatives, découvre l’oraison et la contemplation.
En 1779, elle épouse le comte Mathieu Molé de Champlatreux, jeune parlementaire, qui lui donnera cinq enfants, dont deux meurent en bas âge. Bien qu’un tel malheur soit alors banal et admis comme une inévitable fatalité, la jeune femme ressent profondément la disparition de ses bébés. Elle a dès lors le sentiment que sa vie sera marquée par des peines, des deuils et des souffrances. Au lieu de se révolter, elle accepte consciemment et librement cette croix, et toutes celles à venir, dont elle pressent qu’elles seront nombreuses, qu’elle embrasse d’avance pour l’amour du Christ et le salut des âmes.
Au début de la Révolution, Mathieu Molé décide de rester en France avec sa famille, persuadé de n’avoir rien fait susceptible de lui attirer des ennuis avec le nouveau pouvoir. Il se trompe puisqu’en 1793, il est arrêté avec sa femme, puis envoyé à l’échafaud. La fortune familiale confisquée, Élisabeth Molé doit se battre pour en récupérer une partie afin de subvenir à ses besoins, à ceux de sa mère et de ses enfants. Ces soucis ne suffisant pas, elle perd sa plus jeune enfant, Louise, qui meurt à quatre ans. L’année suivante, en 1795, son frère, Christian de Lamoignon, qui a participé au catastrophique débarquement royaliste à Quiberon, est fait prisonnier et fusillé avec ses camarades. C’est au milieu de ces deuils répétés qu’Élisabeth se prend à rêver du cloître.
Mais la persécution religieuse s’intensifie et les communautés sont interdites et dispersées. La jeune femme, à moins de quitter la France, ce qui lui est impossible en raison de ses charges de famille, n’a aucun moyen de réaliser ses aspirations. Elle garde pourtant confiance, certaine que Dieu écartera les obstacles.
Après la signature du Concordat et le rétablissement du catholicisme en France, l’abbé de Pancemont, rentré d’exil, est nommé évêque de Vannes. Toutes les œuvres d’Église sont à reconstruire. Si Bonaparte se montre bienveillant envers les congrégations « utiles », soignantes et enseignantes, il ne voit pas l’intérêt des contemplatives. Ces maisons-là seront plus difficiles à restaurer.
À peine arrivé dans sa ville épiscopale, Mgr de Pancemont est frappé par l’abandon moral des jeunes filles, qui ne sont plus scolarisées depuis la destruction des écoles chrétiennes, supprimées par la Révolution, et qui restent exposées, sans formation professionnelle, en période de fort chômage féminin, à la tentation de la prostitution et de l’argent facile. C’est dans ce but qu’il fait venir madame Molé afin qu’elle s’installe dans un couvent abandonné et qu’elle fonde une congrégation, les Sœurs de la Charité de Saint-Louis, qui s’occupera des fillettes et des adolescentes, éduquant gratuitement et enseignant l’art de la dentelle et le tissage du coton.
Le décès de Mgr de Pancemont, en 1806, la laisse un temps désemparée, mais les besoins sont tels que madame Molé, en religion mère Saint-Louis, poursuit seule leur œuvre, rachetant des couvents confisqués par la Révolution, fondant de nouvelles maisons à Auray (1807), Saint-Gildas-de-Rhuys (1824), Pléchatel (1816). La congrégation continuera ensuite à s’étendre à travers le monde, notamment au Canada.
Elle s’éteint à Vannes, il y a précisément deux cents ans, le 4 mars 1825.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Marquis de Ségur, Vie de madame Molé, fondatrice de l’institut des Sœurs de la Charité de Saint-Louis, Bray, 1880.
En complément
Paula Hoesl, Madame Molé de Champlatreux (Marie-Louise Élisabeth de Lamoignon), fondatrice des Sœurs de la Charité de Saint-Louis, SPES, 1959.
Notice disponible en anglais et en français sur le site des Sœurs de la Charité de Saint-Louis : « Mère Saint-Louis ».
La cérémonie de béatification peut être regardée en ligne, sur KTO TV.