
Pierre de Rudder : une guérison spectaculaire par l’intercession de Notre Dame de Lourdes (1875)
Pierre de Rudder est marié et père de trois enfants. Il travaille pour le vicomte Albéric du Bus de Gisignies au château de Jabbeke, en Belgique. Le 16 février 1867, il se blesse en déplaçant un tronc d’arbre : le tibia et le péroné de sa jambe gauche sont fracturés. Ne pouvant plus exercer, Pierre est alité et ne se déplace que très rarement, à l’aide de béquilles. Il souffre terriblement car sa jambe est enflée et lâche, laissant apercevoir les bouts des os brisés quand il fléchit le genou. Plusieurs médecins tentent de le soigner, mais personne n’arrive à améliorer son état. Des plaies gangreneuses finissent par attaquer les tissus. On lui conseille l’amputation, mais Pierre refuse et, durant huit ans, il souffre de son infirmité, sans amélioration possible. Chaque année, il demande à effectuer un pèlerinage, mais le vicomte, libéral, le lui refuse.
À la mort du vicomte, Pierre voit se réaliser son désir d’aller à Lourdes-Oostakker, où a été aménagée une réplique de la grotte de Massabielle après les apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous, en 1858 . Le 7 avril 1875, appuyé sur ses béquilles et aidé de son épouse, le blessé parvient à s’y rendre, boit un peu d’eau de Lourdes et fait deux fois le tour de la grotte. Alors qu’il souhaitait faire un troisième tour, il s’assied, épuisé, et implore le pardon pour tous ses péchés et la grâce d’être guéri pour pouvoir à nouveau travailler. Au même moment, il se sent submergé par un bouleversement intérieur. Tout agité, il se lève sans appui, traverse les rangs des pèlerins et va s’agenouiller devant la statue de la Vierge Marie, ne revenant pas de ce qui lui arrive. Ses deux jambes le portent parfaitement et sans douleur, les os de sa jambe s’étant totalement ressoudés et la plaie cicatrisée. En 1908, l’évêque de Bruges déclare officiellement que ce miracle a eu lieu par l’intercession de la Très Sainte Vierge Marie de Lourdes.
Les raisons d'y croire
Durant les huit années qu’a duré sa blessure, de nombreux médecins qualifiés des villes environnantes ont constaté l’état de la jambe, dont deux qui ont pu l’ausculter avant et après l’événement, de sorte qu’il était impossible que Pierre de Rudder simule son accident ou sa guérison. Par exemple, en janvier 1875, soit trois mois avant le miracle, le docteur Van Hoestenberghe était passé voir Pierre pour l’ausculter. Voici ce qu’il rapporta lors de l’enquête menée après l’événement : « Rudder avait une plaie à la partie supérieure de la jambe ; au fond de cette plaie, on voyait les deux os, à une distance de trois centimètres l’un de l’autre. Il n’y avait pas la moindre apparence de cicatrisation. Pierre souffrait beaucoup et endurait ce mal depuis huit ans. La partie inférieure de la jambe était mobile dans tous les sens. On pouvait relever le talon, de façon à plier la jambe dans son milieu. On pouvait la tordre et ramener le talon en avant, et les orteils en arrière. Tous ces mouvements n’étaient limités que par la résistance des tissus mous. » Constat corroboré par son confrère, le docteur Affenaer, médecin traitant de Pierre.
Le docteur Van Hoestenberghe, sceptique et non croyant, accourt dès le 9 avril pour constater par lui-même la guérison que son confrère avait observée la veille, ému, chez son patient. Il trouve Pierre de Rudder en train de bêcher son jardin, et il écrit ceci dans son rapport, lors de l’enquête : « Si je n’avais pas examiné le malheureux auparavant, j’aurais certainement émis la conviction que cette jambe n’avait jamais été cassée. En effet, en passant les doigts lentement sur la crête du tibia, on n’y sent pas la moindre irrégularité, mais une surface parfaitement lisse de haut en bas. Tout ce que l’on découvre, ce sont quelques cicatrices superficielles à la peau. » Il affirmera ensuite être converti par l’évidence de ce miracle.
Lors de l’enquête, d’autres constatations sont rapportées et signées immédiatement après la guérison à la grotte : les pèlerins amassés autour de lui, la marquise de Courtebourne, du château le plus proche d’Oostakker, visitée immédiatement après, le chauffeur de l’omnibus qui effectue la navette entre la gare et le lieu de pèlerinage… Ce dernier se souvient de la démarche de l’infirme car il avait dû nettoyer le sang et le pus écoulés durant le trajet, et il n’en revient pas de le voir reprendre l’omnibus sur ses deux jambes. Il témoigne à l’appel des enquêteurs.
Le 24 mai 1899, après la mort de Pierre, on exhume les os de ses jambes pour mieux s’assurer de l’authenticité de la guérison. Leur observation, photographie à l’appui, permet de manifester la réalité objective de la lésion comme de la réunion, du soudage et de la consolidation inexpliquée des os. Un moulage a été confectionné et se trouve au Bureau médical de Lourdes. Cette enquête, appelant de ses vœux à la rigueur scientifique, est ouverte en 1892 par le docteur Royer, de Lens-Saint-Remy, qui conclut que « le doute serait déraisonnable et, par conséquent, illégitime ; toute âme droite reconnaîtra qu’il y a, dans cette guérison, une intervention surnaturelle ».
Dans tous les miracles authentifiés comme étant survenus par l’intercession de Notre Dame de Lourdes, les effets sont multiples et il n’y a pas que le fait d’être face à un rétablissement médical qui doit être recherché, mais aussi celui de constater un changement chrétien dans la vie du malade. C’est le cas pour Pierre, dont la foi est certes déjà grande si l’on considère son espérance quotidienne alors qu’il était infirme pendant huit ans, sa volonté de partir en pèlerinage alors que le vicomte du Bus s’y refusait, l’effort qu’il a dû fournir pour entreprendre ce voyage jusqu’à la grotte, etc. Après sa guérison, sa reconnaissance et sa gratitude n’ont jamais cessé : Pierre retourne en effet quatre cents fois en pèlerinage à Lourdes-Oostakker pendant les vingt-trois années qui lui sont données de vivre encore. Personne ne se soucierait d’exprimer sa reconnaissance de cette façon s’il y avait eu tromperie.
De plus, il faut savoir que, parmi les 7 500 dossiers de miracles déposés à Lourdes depuis 1858, seuls 71 cas ont été proclamés comme étant des guérisons miraculeuses, car un processus très long, rigoureux et strict précède ces déclarations afin de prendre toutes les précautions nécessaires. Ainsi, des examens d’enquête sont réalisés par le Bureau médical de Lourdes, composé de médecins croyants et non croyants. Si au moins les deux tiers des médecins estiment qu’une guérison survenue est certaine, durable et médicalement inexplicable, le dossier est transmis à l’instance médicale supérieure, le Comité médical international de Lourdes, totalement indépendant du Bureau médical. Ensuite, l’évêque du lieu du miracle doit également mener des recherches afin d’affirmer que la guérison a eu lieu « selon des modalités extraordinaires et imprévisibles », et qu’il y a bien une reconnaissance de signification spirituelle à l’événement avec une intervention divine certaine et durable dans la vie du miraculé.
En savoir plus
Dans le cas des premiers miracles de Lourdes, survenus dès les premières apparitions, comme on peut le constater dans les récits sur sainte Bernadette , nous sommes en pleine expansion de la philosophie des Lumières dans les milieux scientifiques, et le progrès est souvent synonyme d’abandon de la foi. On oppose rapidement le scientifique au croyant, ce qui implique qu’un homme de science ne peut se hasarder à avancer des thèses non vérifiables, sous peine d’être considéré irrationnel ou relégué au rang des croyants insensés. C’est pourquoi les démarches de recherches de preuves sont particulièrement importantes et réalisées de façon rigoureuse. Parmi les médecins qui authentifient la guérison de Pierre, le docteur Deschamps déclare : « Le cas de Pierre de Rudder me parut répondre aux conditions requises […], pour moi qui voulais le soumettre à la critique scientifique la plus scrupuleuse […]. Une étude longue et minutieuse du cas de Rudder m’avait pleinement convaincu de la réalité des faits et de l’impossibilité de leur découvrir une explication naturelle. »
Trois médecins ont fait exhumer le corps de Pierre pour constater la fracture et la guérison de la jambe. Cette « autopsie du miracle » permit d'observer un espace de deux à trois centimètres entre les os lorsque la jambe était pliée : il manquait un bout d’os. En effet, un fragment avait été retiré lors d’une auscultation car l’état des os, éclatés et nécrosés, n’en avait pas laissé le choix. La jambe gauche aurait donc dû être plus courte que l’autre après la guérison ; pourtant, ce n’est pas le cas.
Les objections mettant en cause la véracité des témoignages ou la façon dont les interrogatoires ont été menés ont rapidement été écartées. Des courriers photographiés dans le dossier prouvent par exemple que le docteur en charge de l’enquête a demandé à un collègue médecin athée de l’accompagner pour assurer l’impartialité des interrogatoires. Celui-ci, après avoir d’abord accepté, refusa au dernier moment, laissant notre docteur dans l’embarras. La rencontre fortuite sur sa route, depuis Lourdes jusqu’à Jabbeke, d’un homme sceptique et défenseur de la libre pensée lui donna l’occasion de proposer qu’il serve d’interprète afin que sa traduction du flamand au français ne soit pas orientée, ce qu’il accepta.
Par ailleurs, la guérison de Pierre est l’exemple d’un événement surnaturel qui ne se cantonne pas au seul périmètre géographique de la grotte de Massabielle, puisque le miracle a eu lieu en Belgique. La grande dévotion des fidèles a permis de bâtir ce lieu de pèlerinage à Oostakker seulement quelques années après les apparitions de Lourdes . Si les miracles n’avaient eu lieu qu’à Massabielle, nous pourrions nous demander s’il s’agissait bien de la Sainte Vierge. C’est une invitation à invoquer Notre Dame de Lourdes en tout lieu ; nombreuses sont les guérisons qui adviennent dans le monde grâce à son intercession.
Elisabeth de Sansal, pigiste.
Au delà
« Les vrais miracles font peu de bruit », disait Antoine de Saint-Exupéry, ce qui ne semble pas exactement caractériser le récit de la guérison extraordinaire de Pierre de Rudder, mais il est intéressant de porter également notre attention à l’invisible au-delà du miracle spectaculaire : une semence qui accroît la foi dans le cœur des gens et à laquelle jamais personne n’est contraint.
En effet, beaucoup de personnes au contact du miraculé se sont tournées ou retournées vers Dieu après cet événement. À cette époque où le scepticisme couronnait de gloire les esprits lettrés et scientifiques en particulier, la conversion des médecins est à considérer comme un fruit conséquent du miracle. Ils ont mis leur science au service de la foi en confirmant la réalité rationnelle et scientifique de l’événement dont ils ont été témoins.
Mais tous ne se convertirent pas, soulignant le mystère de la liberté humaine face à l’évidence. Comme sainte Bernadette avait justement répondu au commissaire Jacomet lors d’un interrogatoire : « Je ne suis pas chargée de vous le faire croire, je suis chargée de vous le dire. »
Aller plus loin
Dr Dechamps, Le cas de Pierre de Rudder et les objections des médecins. Monographie d’un miracle de Lourdes-Oostakker, Bruxelles, 1913.
En complément
La publication scientifique « Guérison subite d’une fracture. Récit et étude scientifique » publiée par les docteurs L. Van Hoestenberghe, E. Roger et A. Deschamps, octobre 1899.
René Laurentin, Lourdes, récit authentique des apparitions, Éditions P. Lethielleux, Œuvre de la Grotte, 1976.
H. Bolsius, Un miracle de N.-D. de Lourdes, Pierre de Rudder et son récent historien, Éditions Pierre Téqui, 1913.
Sur le site Internet Reginae Cæli, le récit détaillé en anglais : « Miracles of Lourdes, Pieter de Rudder ».