
Claude La Colombière prédit son emprisonnement (+1682)
En 1675, peu avant sa profession solennelle dans la Compagnie de Jésus, Claude La Colombière fait une curieuse expérience qui le bouleverse : il « se voit traîné en prison pour avoir prêché Jésus crucifié ». L’impression que lui laisse cette vision intérieure, pour brève qu’elle ait été, le perturbe, au point que le jeune homme l’interprète comme l’annonce de son martyre. Plongé dans une véritable angoisse, il décide cependant d’accepter ce présage par fidélité à ses engagements.
Les raisons d'y croire
Son pressentiment ne trahit pas une aspiration personnelle, tout au contraire. Claude souhaite rester en France, ou du moins en Europe ; et rien ne l’exalte dans l’idée de mourir martyr.
La vision est à la fois très claire, détaillée, mais assez floue pour lui interdire de la situer. Il la résume en ces termes laconiques : « Je me suis vu traîner en prison parce que j’avais prêché Jésus crucifié. Est-ce que je dois mourir de la main du bourreau ? Déshonoré par quelque calomnie ? Tout mon corps frissonne et je me sens saisi d’horreur. » Aucun détail exotique là-dedans, mais tout est assez précis et réel pour lui inspirer une véritable angoisse.
Le Père de La Colombière est certes terrifié par ce possible avenir, mais il a accepté tout ce que lui imposera la volonté divine comme le moyen infaillible d’avancer vite dans les voies de la sainteté. Il renonce à sa propre volonté pour suivre le Christ. Il le dit dans des notes de retraite : « Le pas suprême à franchir, c’est de se détacher de soi-même, de ne chercher que Dieu dans Dieu même ; non seulement de ne rechercher dans la sainteté nul avantage temporel qui serait une imperfection grossière mais de n’y chercher même pas ses intérêts spirituels. […] N’y chercher que le pur intérêt de Dieu. » Claude veut parvenir à ce détachement qui le fera instrument passif entre les mains du Dieu dont il cherche la gloire.
C’est dans cet esprit de parfaite obéissance que le Père de La Colombière devient le directeur de conscience de la visitandine Marguerite-Marie Alacoque à Paray-le-Monial , un poste en apparence indigne de ses compétences. Jésus avait d’ailleurs annoncé sa venue à Marguerite-Marie, en 1675, à Paray-le-Monial, en disant que la personne qu’il lui envoyé était son « fidèle serviteur et parfait ami ».
Il accepte ensuite d’être prédicateur de la duchesse d’York, épouse de l’héritier de la couronne d’Angleterre. Cette position est prestigieuse mais aussi dangereuse, car la situation des catholiques anglais reste précaire. De nombreux jésuites, depuis le passage de l’île à la Réforme ont payé de leur vie d’avoir continué à enseigner la foi de Rome. Le père de La Colombière en est conscient ; ce rôle exposé pourrait l’expédier au gibet de Tyburn. Il ne s’y dérobe pas, bien qu’il commence à penser que sa vision pourrait se réaliser. Son vœu d’obéissance demeure intangible, serait-ce au prix de sa vie.
Indifférent aux risques, Claude ne se borne pas à s’occuper de la duchesse d’York mais prêche à son entourage et amène plusieurs personnes de la Cour à abjurer l’anglicanisme et faire profession de foi catholique, ce qui est puni par la loi. Ses ennemis hésitent d’abord à sévir, car il est sujet français. Cette impunité ne va pas durer.
En 1678, on le mêle à l’affaire, relevant du fantasme, du prétendu « papist plot », le complot papiste, censé préparer un débarquement français en Irlande et en Angleterre et le retour forcé de l’île au catholicisme, ce qui contraint Charles II, à son vif déplaisir, à mettre un terme à sa politique de tolérance. Arrêté, Claude est incarcéré à la prison de King’s Bench. Le risque d’un procès et d’une condamnation à mort est réel. Ainsi finira peu après le primat d’Irlande et archevêque d’Armagh, saint Olivier Plunkett , qui sera, sur la base des mêmes fausses accusations, pendu en 1681 malgré les protestations du corps diplomatique.
La prémonition reçue en 1675 s’est donc accomplie et Claude, qui en avait été d’abord bouleversé, semble traverser l’épreuve avec détachement. Il est arrivé à un abandon total entre les mains de Dieu dont témoigne sa célèbre prière : « Mon Dieu, je suis si persuadé que vous veillez sur ceux qui espèrent en Vous et que l’on ne peut manquer de rien quand on attend de Vous toute chose que j’ai décidé de vivre désormais sans aucun souci et de me reposer sur Vous de toutes mes inquiétudes. »
Une intervention de l’ambassadeur de France entraîne la libération du Père de La Colombière et son expulsion vers la France mais ces trois semaines de prison dans des conditions rigoureuses achèvent de ruiner la santé du jésuite. Il ne s’en remettra pas et s’éteint le 15 février 1682. Ainsi connaîtra-t-il finalement un martyre non sanglant mais pénible.
En savoir plus
Élevé chez les jésuites à Lyon, le jeune Claude La Colombière, en 1657, finit ses études animé d’une certitude : pour rien au monde il n’entrera dans la Compagnie de Jésus. Brillant, amateur de littérature et poésie, raffolant des mondanités, il passe quelques mois à s’amuser, causer, danser, avant d’admettre que Dieu l’appelle à son service et qu’il pécherait en s’y dérobant. En 1658, à 17 ans, il fixe sa ligne de conduite : « Ne vivre que pour Dieu, Le servir et Le glorifier. » Afin de pousser le sacrifice au plus haut point, il décide d’entrer quand même chez les jésuites. Pourtant, à la veille de le faire, il avoue encore à ses proches éprouver « une grande aversion pour la vie qu’il va embrasser. » C’est justement pour cela qu’il l’embrasse, en esprit de sacrifice. Désormais, c’est Jésus qui vivra en lui, idéal qu’il résume dans ses notes de retraite : « Je veux désormais que mon cœur ne soit que dans celui de Jésus et de Marie ou que celui de Jésus et de Marie soit dans le mien afin qu’ils lui communiquent leurs mouvements et qu’il ne s’agite et ne s’émeuve que conformément à l’impression qu’il recevra de ces cœurs. »
L’on ne sera pas surpris que Jésus ait annoncé sa venue, en 1675, à Paray-le-Monial, en disant à Marguerite-Marie que son nouveau directeur spirituel était son « fidèle serviteur et parfait ami ».
Pour décisive qu’elle soit, la collaboration du jeune jésuite et de la visitandine en vue de propager la dévotion au Sacré Cœur, ne dure qu’une petite année avant que le père de La Colombière soit envoyé à Londres. Expulsé d’Angleterre, il regagne la France très malade, dans l’impossibilité de dissimuler davantage la tuberculose dont il souffre depuis des années et qu’il a traitée par le mépris, s’imposant des travaux, veilles, jeûnes et pénitences déraisonnables comme refuser de chauffer sa chambre en plein hiver et en laisser les fenêtres ouvertes alors qu’il gèle.
Il doit apprendre à se soucier de lui plutôt que des autres et le dit avec finesse. Dieu veut qu’il exerce sa patience et sa charité en soignant un malade qu’Il lui a confié, tout faire pour sa guérison : ce malade, c’est lui. Claude obéit, toujours indifférent à son sort. Dans une autre révélation, le Ciel lui a dit « de ne se préoccuper ni du passé ni de l’avenir ». Vivre ou mourir ? Peu lui importe. Le 15 février 1682, ce « fidèle serviteur et parfait ami » de Christ s’éteint à Paray. Il avait 41 ans depuis la Chandeleur.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Saint Claude La Colombière, Œuvres complètes, Avignon, 1864.
En complément
Pierre Charrier, Histoire du vénérable père Claude de La Colombière de la Compagnie de Jésus, Lyon, 1894.
Georges Guitton, Le bienheureux Claude de La Colombière, son milieu et son temps, Vitte, 1943.
Christophe Hadevis, Jean-Marie Woehrel, Véronique Gourdin, Apôtres du Cœur de Jésus, Sainte Marguerite-Marie et saint Claude La Colombière, Éditions Emmanuel, 2021.
La notice biographique du site Internet du Vatican.
Claude La Colombière, Spiritual retreats and letters of blessed Claude La Colombière, 2011 (en anglais).
Sur CNews, l’émission du 08/06/2024 « Les grandes figures de l’histoire » : Saint Claude, apôtre du Sacré-Cœur de Jésus .