Je m'abonne
© Shutterstock/Zvonimir Atletic
Les martyrs
Croatie
Nº 559
1898 – 1960

Stepinac dit non à Tito et reste fidèle à l’Église de Jésus-Christ (+1960)

Accusé de s’être rendu coupable et complice, pendant la Seconde Guerre mondiale, de crimes qu’il n’a cessé de dénoncer, l’archevêque de Zagreb en Croatie, Alojzije (Louis) Stepinac, est, en 1946, condamné aux travaux forcés. Son véritable crime ? Avoir refusé de se rallier au nouveau régime communiste de Tito. Relâché, sous la pression de Rome, après six ans de bagne et placé en résidence surveillée, le prélat, que Pie XII a fait cardinal, meurt, probablement empoisonné, le 10 février 1960. Lors de sa béatification, en 1998, Jean-Paul II a reconnu le lent et pénible martyre du bienheureux.


Les raisons d'y croire

  • Devenu archevêque de Zagreb en 1937, Alojzije Stepinac vit une période particulièrement pénible et difficile depuis que Pavelic a pris le pouvoir et proclamé la Croatie indépendante. Un pouvoir de type fasciste collabore avec l’occupant nazi. Ses partisans, les Oustachis, qui se proclament hautement catholiques, se livrent cependant à des atrocités : déportation des juifs, épuration ethnique des Tziganes, violences sanglantes contre la minorité serbe orthodoxe... Stepinac, que ses fonctions obligent à fréquenter les autorités oustachies, refuse néanmoins de cautionner leurs agissements et dénonce sans ambiguïté antisémitisme et épuration ethnique.

  • Ainsi ose-t-il dire en chaire, alors que la violence se déchaîne : « Tous les hommes de toutes les races sont les enfants de Dieu, qui ont tous le droit de dire ‘‘Notre Père, qui êtes aux Cieux’’. Pour cette raison, l’Église catholique a toujours condamné et condamne toute injustice commise au nom des théories de classes, races ou nationalités. »

  • Cette déclaration, qui vise pareillement marxistes et fascistes, risque de lui coûter cher, d’un côté comme de l’autre, à un moment où les partisans communistes de Tito semblent susceptibles de gagner la guerre et où les Oustachis, conscients qu’ils vont perdre, deviennent de plus en plus violents.

  • En mai 1945, après la défaite nazie et la victoire de Tito, Stepinac est arrêté. Commence une persécution contre l’Église catholique. De nombreux prêtres sont exécutés ou assassinés, et d’autres disparaissent sans qu’il soit possible de savoir ce qu’ils sont devenus. Comme il est difficile de liquider de cette façon l’archevêque de Zagreb, Stepinac se voit proposer un marché : soutenir le nouveau régime et apporter son appui au projet de création d’une Église nationale catholique détachée de Rome, donc schismatique. Il refuse, souhaitant rester fidèle à l’Église instituée par Jésus, bien qu’il sache ce que cela lui coûtera.

  • Le 30 septembre 1946, il est jugé lors d’un procès médiatisé en compagnie d’anciens dirigeants oustachis – procédé typiquement communiste de l’amalgame – et accusé d’être un collaborateur de l’occupant nazi et le complice des atrocités commises par les Oustachis. De nombreux témoins se présentent pour affirmer le contraire et rappeler les condamnations du prélat contre ces agissements, ses interventions en faveur des juifs croates et la façon dont il a permis à nombre d’entre eux de quitter le pays, les sauvant des camps de la mort. Curieusement, ces témoins vont, eux aussi, disparaître, intimidés ou incarcérés, afin de leur interdire de dire la vérité.

  • Tout cela est avéré puisque Israël envisagera de lui donner le titre de « juste parmi les nations » récompensant ceux qui ont sauvé des Juifs pendant la Shoah. Le grand rabbin de Zagreb soulignera aussi combien le prélat s’est engagé contre l’antisémitisme.

  • Certains encouragent Stepinac à se défendre ; il s’y refuse, dans une imitation du Christ devant Pilate : « Et Jésus se taisait» Il explique à ses proches que tout ce qu’il dira sera déformé et que l’on se servira de lui pour attaquer l’Église.

  • Car la véritable raison de l’arrestation de l’archevêque est son attachement à la foi et à la vérité, celle du Christ, la seule qui rend libre. C’est bien en sa qualité de catholique, de prêtre et d’archevêque qu’il est condamné à seize ans de travaux forcés, et non pour des crimes imaginaires. Le fait d’être persécuté in odium fidei (« en haine de la foi ») est la définition même du martyre.

  • En décembre 1951, alors qu’il vient de faire cinq ans de prison, Stepinac bénéficie d’une apparente mesure de grâce, et il est ramené à Zagreb. Le régime, qui cherche l’apaisement avec le Vatican, souhaite qu’il quitte le pays et aille vivre à Rome. Stepinac refuse cette solution qui lui sauverait la vie : « Il est de mon devoir, en ces temps difficiles, de demeurer parmi mon peuple. » Seule une foi immense dans les promesses du Christ peut expliquer ce choix humainement incompréhensible.

  • Des examens révèlent que le cardinal souffre d’une maladie du sang excessivement rare et incurable. Il est peu probable qu’elle se soit déclarée d’une manière naturelle. Il s’agit d’un assassinat à petit feu par empoisonnement. Stepinac est emporté par une thrombose le 10 février 1960.

  • Lors de sa béatification, le 3 octobre 1998, Jean-Paul II, familier des procédés communistes, lui donne le titre de martyr.


En savoir plus

Alojzije Viktor Stepinac naît le 8 mai 1898 à Brezanic, en Croatie. Il est le cinquième d’une famille de huit enfants. Ses parents sont de gros propriétaires fonciers et son père veut lui voir suivre des études agronomes afin qu’il s’occupe des domaines familiaux. La Première Guerre mondiale contrarie ces projets puisque, le jour de ses dix-huit ans, le jeune homme est mobilisé dans l’armée austro-hongroise et envoyé combattre sur le front italien. Blessé et fait prisonnier, Stepinac, en 1918, décide de rester dans l’armée et d’être versé dans la Légion yougoslave, qui rassemble Serbes, Croates et Slovènes. En 1919, il est démobilisé et rentre chez lui suivre une formation d’ingénieur agronome. Bien qu’il obtienne ses diplômes, il préfère, en 1924, entrer au séminaire à Rome. Ordonné prêtre le 26 octobre 1930, il est nommé curé d’une paroisse de Zagreb en 1931, puis coadjuteur du diocèse en 1934 et enfin archevêque en 1937, avec dispense d’âge car il n’a pas encore atteint les quarante ans qu’exige le droit canon.

Cette élévation l’expose : partout en Europe, les épiscopats et le pape Pie XII se trouvent confrontés au même dilemme. Sans jamais cautionner les crimes des pouvoirs totalitaires, ils doivent aussi faire preuve de la vertu de prudence en n’exposant pas ceux dont ils ont la charge à des représailles féroces en raison de leurs prises de position. En ce domaine, l’exemple des évêques néerlandais a servi de leçon : leur courage s’est révélé tragiquement contre-productif puisqu’il a entraîné la déportation massive des juifs de leur pays, y compris les convertis au catholicisme, dont Edith Stein, qu’ils voulaient sauver. L’équilibre à tenir entre silence honteux et condamnation est un exercice délicat. Stepinac y parvient un temps. Il est finalement arrêté et jugé en 1946.

Tito a pris soin de composer le jury de catholiques apostats que Pie XII excommunie dès le prononcé de ce verdict inique. Stepinac est condamné à seize ans de prison pour « crimes de guerre et haute trahison ». Certain que l’archevêque de Zagreb va au martyre, Pie XII lui donne, le 28 novembre 1952, la pourpre cardinalice, dont la couleur de sang symbolise l’acceptation par ses dépositaires de la fidélité au Christ jusqu’à la mort ; cela entraîne une rupture diplomatique entre le Vatican et Belgrade.

Quoique Rome se soit entouré des meilleurs historiens pour dissiper les éventuels doutes autour des prises de position du cardinal Stepinac, et malgré le témoignage du grand rabbin de Zagreb, qui soulignera combien le prélat s’est engagé contre l’antisémitisme, aidant des juifs à échapper à la déportation, sa béatification, dans le climat tendu de la guerre en ex-Yougoslavie et des convulsions balkaniques, crée de vives contestations de la part des Serbes et des orthodoxes.

Celles-ci n’étant toujours pas apaisées, et en dépit d’un second miracle, dont les détails sont gardés sub segreto par le Vatican, qui aurait dû entraîner la canonisation du cardinal Louis Stepinac, le pape François a jugé opportun de la repousser sine die.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

  • Mathilde Landercy, Le Cardinal Stepinac, martyr des droits de l’homme, Lethielleux, 2011.


En complément

Sur le même thème, la rédaction vous conseille :
Précédent
Voir tout
Suivant