
Saint Avit de Vienne affirme la divinité de Jésus (+518)
Issu d’une famille de la noblesse sénatoriale du pays viennois (au sud de Lyon), Avit reçoit une éducation soignée. Veuf, il entre probablement au monastère. Il est consacré évêque de Vienne le 17 juin 490. Par ses homélies et ses discours en vers, il prend part à la lutte des évêques de son temps contre l’arianisme. Ses lettres rendent compte de la vie politique de son époque, à laquelle il n’est pas étranger, pour le bien de l’Église, c’est-à-dire pour le bien du peuple qui lui est confié et pour l’honneur du Christ. Sa correspondance est aussi le témoin de ses actes liturgiques et pastoraux. Il meurt le 5 février 518. Son culte se répand aussitôt.
Les raisons d'y croire
L’historien Grégoire de Tours, qui a assisté à l’établissement du royaume des Francs après Clovis et en relate les événements, mentionne saint Avit – dont il est le contemporain – dans son ouvrage intitulé Histoire des Francs. Il explique : « Les hérésies commençant à s’élever dans la ville de Constantinople, tant celle qu’enseignait Eutychès que celle de Sabellius, et qui soutenaient toutes deux qu’il n’y a rien de divin dans Notre-Seigneur, [saint Avit] écrivit, à la demande du roi Gondebaud, contre ces coupables erreurs. Il nous reste de lui des lettres admirables, qui édifient à présent l’Église de Dieu, comme autrefois elles confondirent l’hérésie. Il a composé un livre d’homélies sur l’origine du monde, six livres arrangés en vers sur divers autres sujets, et neuf livres de lettres qui contiennent celles dont nous venons de parler » (livre II, 34).
Le roi Gondebaud comprend que la position arienne – qui nie la divinité de Jésus-Christ – est une erreur théologique, mais il craint qu’une notable partie de son clergé et de sa noblesse, attachés à cette croyance, ne se retournent contre lui. Avit l’engage à se montrer vrai chef : « Tu crains le peuple, ô roi ! Tu ignores donc qu’il doit suivre ta foi, et que tu ne dois point te montrer favorable à ses faiblesses ; car tu es le chef du peuple, et le peuple n’est pas ton chef. Si tu vas à la guerre, tu es à la tête des guerriers, et ils te suivent où tu veux les mener. Il vaut mieux que, marchant à ta suite, ils connaissent la vérité, plutôt qu’après ta mort ils demeurent dans l’erreur, car on ne se joue pas de Dieu ; et il n’aime pas celui qui, pour un royaume terrestre, ne le confesse pas dans ce monde » (ibid.).
L’enjeu est de taille : en s’opposant à l’arianisme – qui nie la divinité de Jésus-Christ –, saint Avit défend la vérité de la foi catholique, mais aussi l’efficacité du salut apporté par le Christ. En effet, le Dieu chrétien n’est pas un concept philosophique mais un Être concret, réel, vivant et agissant. Il intervient dans l’histoire humaine jusqu’à y entrer en prenant un corps et une âme comme la nôtre et à racheter par sa mort les hommes de toutes les contrées et de tous les temps : Jésus-Christ est en effet homme, et c’est pourquoi il a pu mourir. Mais cet homme est aussi Dieu de toute éternité : c’est pourquoi son sacrifice est efficace pour soustraire les hommes au pouvoir de Satan et du péché.
Le culte de saint Avit est attesté très tôt. Le Martyrologe hiéronymien le cite le 5 février. Il s’agit du plus ancien martyrologe (recueil des martyrs et des saints dont il est fait mémoire par les croyants) de langue latine et il a servi de base à ceux qui sont venus après. Les manuscrits dont nous disposons remontent au VIIIe siècle (manuscrits de Berne, Echternach et Wissembourg) et sont eux-mêmes des copies d’une version unique qui a été établie à Auxerre sous l’épiscopat de saint Aunaire († 605). Cette version dérive à son tour d’un martyrologe italien que le pape saint Grégoire le Grand († 604) possédait dans sa bibliothèque et qu’il décrit dans une lettre au patriarche Euloge d’Alexandrie (Epist., VIII, 29) : cela nous amène juste après l’époque de l’évêque Avit. Ce martyrologe est donc un témoin contemporain du culte dont saint Avit a bénéficié très rapidement après sa mort. Comme ceux qui l’ont connu le tenaient pour saint, tout porte à croire que cela était justifié.
Ce que nous savons de la vie de saint Avit, en grande partie grâce à sa correspondance, qui témoigne abondamment de ses actes, est en conformité avec l’idéal concret qu’il chante dans un de ses poèmes, l’Histoire spirituelle et son message de justice, de pureté, de courage et de prudence. Cette œuvre connaît un grand succès du vivant même de son auteur.
L’Éloge consolatoire de la chasteté (De consolatoria castitatis laude) est écrit pour sa sœur, la moniale Fuscine. La vision de la femme qu’y développe Avit, à l’inverse de toute misogynie, est une glorification de la femme qui décide seule, en suivant le Christ seul, de son propre avenir. Il met en exergue le statut social de la uirgo(« vierge ») dans la société chrétienne de l’Antiquité tardive. Le propos de vivre dans la virginité perpétuelle constitue une forme d’émancipation, en opposition au droit romain dans lequel la femme n’est jamais – au moins théoriquement – autonome en droit (même si le Code théodosien de 438 mitige en pratique cette position). La uirgo est libre de toute obligation terrestre, et se consacre uniquement dans la prière à sa vocation d’épouse mystique de Jésus-Christ.
En savoir plus
Nous sommes sur les bords du Rhône, à la moitié du Ve siècle, dans le royaume burgonde (Bourgogne). Sextus Alcimus Ecditius Avitus naît à Vienne, de parents chrétiens : Isice ou Hésichius, sénateur, et Audentia. Avit est le frère cadet d’Apollinaire, qui deviendra évêque de Valence. Tous deux promis à l’épiscopat, ils entretiennent ensemble une abondante correspondance. C’est à Apollinaire qu’Avit adresse le prologue de son Histoire spirituelle. Avit appartient ainsi à une famille de la grande aristocratie patricienne. Né à Vienne vers 450, il est baptisé par l’évêque métropolitain de Vienne, Mamert. Son père, Isice, succédera à ce dernier avant qu’Avit ne le remplace à son tour, vers 490. Avit restera évêque de Vienne jusqu’à sa mort, vers 518.
Comme saint Hilaire de Poitiers avant lui, il défend dans ses homélies, dont certaines nous sont parvenues, la foi catholique contre l’arianisme. La doctrine d’Arius est le courant théologique majoritaire depuis que les successeurs de l’empereur Constantin l’ont embrassé ou favorisé : les peuples germaniques, qui ont depuis rejoint l’Empire, sont devenus ariens. Les Wisigoths d’Aquitaine et d’Hispanie, les Lombards et les Burgondes le sont aussi.
L’enjeu est de taille : c’est non seulement la vérité de la foi catholique qui est mise en péril, mais encore l’efficacité du salut apporté par le Christ. Dieu est un en trois Personnes distinctes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, de même que trois membres d’une même fratrie sont des personnes distinctes les unes des autres. Mais la comparaison s’arrête là, car les Personnes divines sont égales dans leur essence unique et leur existence unique, comme je suis moi aussi un. Le Dieu unique n’est pas un concept philosophique mais un Être concret, réel, vivant et agissant en tant que tel. Ce n’est pas le dieu des philosophes et des savants, qui est isolé du monde dans sa solitude immobile et silencieuse. C’est un Dieu qui intervient dans l’histoire humaine jusqu’à y entrer en prenant un corps et une âme comme la nôtre et à racheter par sa mort les hommes de toutes les contrées et de tous les temps : Jésus-Christ est en effet homme, et c’est pourquoi il a pu mourir. Mais cet homme est aussi, en la Personne du Fils, Dieu de toute éternité : c’est pourquoi son sacrifice est efficace pour soustraire les hommes au pouvoir de Satan et du péché. L’Histoire spirituelle (De spiritalis historiae gestis) exalte la geste grandiose du Sauveur, vrai homme et vrai Dieu, dans son œuvre rédemptrice : « L’illustre guide, dans un chant solennel, évoque ce remarquable fait que psalmodie le monde entier, lorsque la faute purifiée par les flots sacrés est détruite, que l’onde du baptême, qui l’engendre, fait naître une nouvelle descendance après les anciens péchés qu’a commis Ève... Y eut-il quelque sinistre événement exprimé dans mon pauvre poème, la glorieuse onde du triomphe sacré l’aura maintenant effacé ; c’est grâce à lui que les chants d’allégresse résonnent, que tout péché est enlevé par le baptême et que vit l’homme nouveau, l’ancien ayant péri ; c’est grâce à lui que les vertus surgissent, que les actes coupables sont tués, que le véritable Israël est baigné dans les eaux sacrées ; c’est grâce à lui que la foule unanime célèbre avec retentissement le trophée de la victoire, que les figures annonçant les dons s’accomplissent ; c’est leur histoire que le saint prophète a déroulée au long de ses cinq volumes. Quant à nous, nous suivons sa trompette avec notre chalumeau, et, respectant ce nombre, nous ferons aborder au port, sur ce rivage, notre modeste esquif » (chant V).
L’Histoire spirituelle, probablement composée entre 497 et 500, est un poème dont le style doit beaucoup aux auteurs classiques latins, particulièrement Virgile, dont saint Avit, pétri de rhétorique classique, était pénétré. Il connaît Stace et Silvius Italicus, ainsi que Cicéron et Pline l’Ancien. Mais, contrairement aux récits imaginaires de Lucain, de Lucrèce ou d’Ovide, celui de saint Avit n’est pas une fable. Inspiré des poètes chrétiens – Avit connaît Juvencus, Coelius Sedulius et Arator, mais aussi Cyprien Gallus, Hilaire, Marius Victorinus et Dracontius ; il a lu Augustin , Ambroise , Lactance et Claudien Mamert –, Avit se considère comme un pius uates, un prophète chargé par Dieu de parler de lui aux hommes pour les attirer à lui. C’est un poème qui chante des faits qui se sont réellement produits, et dont les protagonistes ont véritablement existé et pour certains veillent encore sur les hommes qu’ils ont conduits ici-bas. C’est une épopée chrétienne à la gloire du Christ, dont les cinq chants (ou chapitres) présentent les figures annonciatrices de l’Ancienne Alliance : Adam (chants I-III), Noé (chant IV) et Moïse (chant V). Adam, Noé et Moïse ont existé, mais ce n’est pas en tant que tels qu’Avit raconte leurs hauts faits : c’est parce qu’ils annoncent, par leurs actes, le Christ. Ainsi le Christ est-il l’unique héros de toute l’histoire du salut, depuis la création du monde jusqu’à la parousie. C’est aussi pourquoi le récit de la création du monde (chant I), du péché originel (chant II) et de la sentence divine qui en est la conséquence (chant III), puis celui du déluge (chant IV) et de la sortie d’Égypte (chant V) sont-ils, en figures, les étapes de l’histoire du salut.
Bien qu’il le conseille et malgré ses efforts, Avit ne parvient cependant pas à ramener à l’orthodoxie le roi Gondebaud, mais il obtiendra la conversion de son fils Sigismond, qui sera baptisé vers 496-499.
Avit n’assiste pas au baptême de Clovis en 496, mais lui écrit pour le féliciter.
Il meurt le 5 février, entre les années 518 et 526, plus probablement en 518. Il est inhumé dans l’église Saint-Pierre de Vienne, alors cathédrale du diocèse, dans le côté gauche, à proximité du grand autel. Cette église est aujourd’hui le musée archéologique Saint-Pierre.
Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.
Au delà
L’Histoire spirituelle fait partie dès le VIe siècle d’un canon de poètes épiques bibliques qui comprend Juvencus, Prudence, Sedulius, Avit et Arator, et qui sera utilisé, de même que les écrits poétiques de ces derniers, dans l’enseignement scolaire durant le Moyen Âge. La tradition indirecte comme les catalogues des bibliothèques médiévales en témoignent.
Aller plus loin
Avit de Vienne, Histoire spirituelle, I, Paris, Cerf, Sources chrétiennes no444, 1999, 352 p. et II, ibid., SC no°492, 2005, 264 p.
En complément
Avit de Vienne, Lettres, Paris, Les Belles Lettres, C.U.F., série latine, no411, 2016, 640 p.
Avit de Vienne, Éloge consolatoire de la chasteté, Paris, Cerf, SC n. 546, 2011, 256 p.
Ulysse Chevalier, Notice chronologico-historique sur les archevêques de Vienne, 1879, 18 p. Peut être consulté en ligne .
Ulysse Chevalier, Regeste dauphinois, ou répertoire chronologique et analytique des documents imprimés et manuscrits relatifs à l’histoire du Dauphiné, des origines chrétiennes à l’année 1349, tome I, fascicules 1-3, Imprimerie valentinoise, 1912. Les documents concernant l’épiscopat de saint Avit sont p. 27-55. Peut être consulté en ligne .
Louis Duchesne, Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaulle, Paris, Thorin, 1894, 356 p. Le pontificat de saint Avit est évoqué p. 147, 156-157 et 186-188. L’épitaphe du tombeau de saint Avit, dans l’église Saint-Pierre, est reproduite p. 187
Patrick Laurence, Les Droits de la femme au Bas-Empire romain : le Code théodosien, textes, traduction et commentaires, éditions Chemins de traverse, 2012, 884 p.
Gérard Lucas, « Adon de Vienne, Martyrologe », dans Vienne dans les textes grecs et latins, MOM Éditions, 2016. Peut être consulté en ligne .
Gallia christiana, volume 16, Paris, Didot, 1865, col. 19-23.
Martyrologe hiéronymien dans AASS, novembre II, pars 2, 193. La simple mention de la depositio(enterrement) de saint Avit se trouve p. 78.