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Les martyrs
Rome (Italie)
Nº 550
IIIe siècle

Sainte Martine : « Celle-là, Dieu sait son nom. » (+IIIe s)

Retrouver la dépouille d’un saint martyr sombré dans l’oubli est, à Rome, assez fréquent. Le pape Urbain VIII n’est donc pas surpris lorsque les ouvriers qui travaillent à la restauration d’une vieille église, en bas du Capitole, l’informent, en 1634, avoir découvert l’une de ces sépultures qui contient les reliques d’une vierge suppliciée pour le Christ. Anonyme…


Les raisons d'y croire

  • Les martyrs anonymes (dès l’origine ou qui le sont devenus au fil du temps) sont légion. À certains moments des persécutions, les rafles de chrétiens sont massives et les personnes arrêtées sont exécutées sur place, femmes et enfants compris, sans que l’on juge bon de relever leur identité. S’y ajoutent les chrétiens livrés aux bêtes ou au feu, dont les cadavres sont si mutilés et défigurés que leurs proches ne peuvent les reconnaître. En pareil cas, l’Église, en leur rendant les honneurs dus aux témoins du Christ, inscrit sur leur tombe : « Celui-là, celle-là, Dieu sait son nom. »

  • Urbain VIII est un pape qui renforce les normes ecclésiastiques concernant les procédures de canonisation ; il interdit, sous peine de suspendre définitivement l’instruction des causes, qu’un culte public soit rendu aux fidèles morts en odeur de sainteté tant que Rome ne s’est pas prononcée sur leur cas. Cet interdit est toujours en vigueur. C’est dire que ce souverain pontife prend au sérieux ce qui regarde le culte des saints et n’est pas partisan des canonisations spontanées par le peuple de Dieu, parfois mal informé ou trop crédule. Qu’il ait apporté sa caution à la dévotion des Romains envers sainte Martine est un gage déterminant en faveur de l’historicité de cette martyre.

  • Le pape n’a pas besoin de fabriquer une nouvelle sainte et de l’offrir à la dévotion populaire : Rome possède déjà tout ce qu’il faut ! Il entreprend pourtant les travaux pour la future basilique Santa Martina, ce qui prouve qu’il pense de son devoir de rendre ces honneurs exceptionnels à une authentique martyre.

  • Le récit du martyre de Martine dont nous disposons n’est pas historiquement fiable. En particulier, l’auteur a commis une erreur idiote qui discrédite son récit : il a situé la mort de Martine en janvier 228, sous le règne de l’empereur Sévère Alexandre. Or, durant les dix années de son règne, non seulement Sévère Alexandre n’a pas persécuté les chrétiens, mais il les a protégés. S’il ne fait aucun doute que le récit de la passion de sainte Martine est un pieux roman, cela ne remet pour autant pas en cause que les reliques vénérées dans la basilique sont celles d’une femme martyrisée pour avoir refusé d’abjurer sa foi au christianisme.

  • Il est aussi incontestable que les bourreaux romains s’y entendaient à torturer, et il est pareillement incontestable, car ils sont documentés et attestés, que des miracles sont parfois survenus, suspendant le supplice, ou que l’extase a soustrait le supplicié aux souffrances infligées… Dans le cas de Martine, Dieu seul sait ce qu’elle a vécu.

  • Jésus a dit à ses disciples inquiets que « leurs cheveux mêmes étaient comptés » ( Lc 12,7 ) et qu’il n’en tombait pas un sans la permission de Dieu. Ainsi, le Christ pour lequel Martine est morte dans les tourments n’a pas voulu laisser disparaître sa mémoire ni la priver des hommages qu’elle méritait.


En savoir plus

La redécouverte, l’on dit « l’invention », des reliques d’une martyre anonyme lors de travaux de rénovation d’une église au pied du Capitole, en 1634, n’a rien de surprenant. Le pontife va alors, en lieu et place de l’antique église à demi ruinée, faire construire une splendide basilique neuve et la placer sous le patronage de cette sainte mystérieuse qu’il appelle Martine.

Un récit très tardif de sa vie et de sa mort, sans valeur historique, fait d’elle la fille unique d’une riche et puissante famille, qui la laisse héritière d’une immense fortune. Martine, qui a voué sa virginité au Christ, met ses richesses au service de l’Église, suscitant la convoitise de l’empereur, désireux de mettre la main sur l’argent et l’héritière. Il la fait arrêter en janvier 228 et supplicier de toutes les façons possibles et imaginables, avant de la faire égorger – lesbourreaux ne venant pas à bout du courage de la vierge.

Il s’agit d’une compilation d’autres récits de martyres, plus ou moins authentiques, discréditée d’emblée par la date indiquée, et le nom de l’empereur tortionnaire supposé, Sévère Alexandre. Sévère Alexandre, empereur depuis 222 et l’assassinat de son cousin Héliogabale, est un jeune homme doux, chaste et pieux à sa façon, pas très éclairée car il est syncrétiste. Il éprouve une vive sympathie pour Jésus, en bonne place dans son panthéon personnel, et serait prêt à reconnaître le christianisme si on le laissait faire. Ce n’est donc en rien le dépravé lubrique dépeint s’acharnant sur Martine. Pendant les dix ans de son règne, aucun chrétien ne sera inquiété en raison de sa foi.

Que l’on ne sache ni son vrai nom, ni sa vie, ni les circonstances de sa mort n’a que peu d’importance : tout tend à croire que repose dans la basilique Santa Martina une incontestablemartyre :cette jeune fille fait partie du vaste cortège anonyme dont Dieu sait le nom.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au delà

  • Urbain VIII a fait de sainte Martine l’une des patronnes de Rome et aucune réforme du calendrier catholique n’a supprimé sa fête, le 30 janvier, prouvant qu’en dépit des incertitudes, l’Église n’a jamais remis en cause l’existence et le martyre de la sainte, même si l’on ne connaît pas sa véritable histoire.


Aller plus loin

À Rome, l’église Santi Luca e Martina (Saints-Luc-et-Martine) renferme la crypte et la tombe de sainte Martine .


En complément

  • La découverte, le 25 octobre 1634, sous l’autel, du coffret rempli d’ossements et d’une plaque fut racontée par Carlo Fea, un archéologue italien.

  • L’année liturgique de Dom Guéranger, comme les martyrologes, propose le récit romancé.

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