
Le bon père Fourier, un curé lorrain mémorable (+1640)
Né en 1565 dans les Vosges, Pierre Fourier entre à vingt ans chez les Chanoines réguliers de Saint-Augustin, ordre dont il deviendra le supérieur général et dont il se verra confier la réforme. En 1597, il devient curé de Mattaincourt, commune majoritairement protestante qu’il régénère complètement. Il le restera trente ans. Il est notamment considéré comme un pionnier en matière d’éducation. Grand patriote lorrain, fidèle au duc souverain de Lorraine, « le bon père Fourier », comme on l’appelait, est exilé en 1636 par Richelieu en Franche-Comté, où il terminera ses jours le 9 décembre 1640.
Les raisons d'y croire
La première biographie de Pierre Fourier, œuvre de l’un de ses amis, le père Jean Bedel, paraît en 1645, cinq ans après le décès du serviteur de Dieu. Il s’agit d’un témoignage de première main, contemporain des faits, auquel il est possible de se fier car erreurs, outrances, mensonges ou exagérations auraient été relevés et dénoncés, tant par les lecteurs que par les autorités religieuses qui envisagent d’ouvrir la cause de canonisation de Fourier.
Si certains miracles y sont signalés, ils sont peu nombreux et connus de toute la région, qui n’aurait pas compris qu’ils soient omis par le biographe. Cette économie de merveilleux est un signe positif et témoigne du recul de l’auteur et de son sérieux. Le père Bedel, s’il souligne la réputation de thaumaturge de Pierre Fourier, ne retient dans son livre que les faits qu’il estime incontestables.
Il crédite notamment Fourier d’une multiplication de nourriture. Ainsi, la huche du presbytère, que chacun avait vu vide quelques instants plus tôt, se remplit de farine pour permettre au curé de secourir une femme dont les enfants meurent de faim.
On rend aussi compte de plusieurs guérisons mais, surtout, vers 1623, de la résurrection d’une fillette du village de Mattaincourt, morte noyée après avoir été entraînée par le poids du seau dans le puits du presbytère. La scène se passe devant plusieurs témoins, dont le père de l’enfant, et il faut toute la journée pour réussir à sortir la fillette du fond du puits et constater son décès par noyade.
Face à ce dénouement tragique, le père éperdu porte l’enfant au presbytère et demande en sanglotant à Pierre Fourier ce qu’il faut faire. À quoi le curé répond : « Priez Dieu, brave homme. » La réponse montre que le prêtre ne se targue pas de dons de thaumaturge et n’attribue qu’à Dieu les grâces éventuelles.
Le biographe, de son côté, n’instrumentalise pas le drame ni ne le met en scène, se bornant à dire que le curé reste en prière le reste de la journée et toute la nuit près du corps de l’enfant, laquelle, à l’aube, se réveille et part à l’école comme si de rien n’était. Pareille économie de moyens dans le récit est preuve d’authenticité. Un hagiographe qui fait si peu de bruit autour d’une résurrection ne peut être soupçonné d’inventer.
En savoir plus
Né à Mirecourt le 30 novembre 1565, Pierre Fourier est l’un des trois fils d’un riche marchand drapier de cette ville, anobli par le duc de Lorraine en 1591. Les Fourier sont proches de la famille ducale, Demenge (Dominique) Fourier ayant épousé en secondes noces, après la mort de la mère de ses fils, la nourrice de la princesse Christine de Lorraine, fille du duc Charles III et de Claude de France, fille d’Henri II.
Pierre est élevé chez les jésuites de Pont-à-Mousson, dans un établissement fondé par l’un de ses oncles, où il reçoit une éducation typique de la Contre-Réforme, appliquée plus tôt en Lorraine qu’en France. En 1585, il préfère cependant les Chanoines réguliers de Saint-Augustin de Chamousey, près d’Épinal, à la Compagnie de Jésus, et c’est pour eux qu’il est ordonné prêtre en 1589. Au terme de longues et brillantes études, tant de théologie que de droit, il est nommé en 1595 administrateur de la paroisse de Chamousey. En 1597, il devient curé de Mattaincourt, dans les Vosges, zone connue comme « la petite Genève » en raison du nombre de protestants qui y vivent et de la forte décatholicisation du secteur.
Inspiré par l’exemple de son contemporain François de Sales, dont son oncle est le directeur de conscience, Pierre Fourier s’attelle à la tâche de ramener son peuple à la foi catholique, se donnant sans compter aux obstinés réfractaires qu’il appelle « ma bande perdue ». Sa dévotion eucharistique et ses prédications enflammées, sa généreuse tolérance, qui le pousse à scolariser les protestantes avec les catholiques, précisant aux institutrices « de ne pas troubler leur foi », finiront par reconquérir la majorité de ces âmes. C’est par son action sociale, éducative et réformatrice que le curé de Mattaincourt s’illustre.
Sa réforme de la congrégation de chanoines à laquelle il appartient est un modèle de mise en œuvre de la politique tridentine de Rome. Du même esprit procède la fondation, avec Alix Le Clerc , de la Congrégation Notre-Dame, qui se voue à l’éducation gratuite des petites filles.
Soucieux de la terrible misère qui accable la Lorraine à l’occasion du déclenchement de la guerre de Trente Ans, horrifié par les drames engendrés par le conflit, puis par la peste qui suit les armées et dévaste le pays en 1631 et 1632, Pierre Fourier se dévoue à soigner les malades, mais aussi à prévenir les épidémies en imposant des mesures d’hygiène très avant-gardistes pour son temps. La fondation de la Bourse Saint-Epvre permet aux artisans de sa paroisse frappés par la crise de faire appel à ce fonds d’entraide mutualiste plutôt qu’aux usuriers, ce qui les sauve de la ruine. Il met aussi en place une banque alimentaire et une soupe populaire pour assurer de quoi manger à ses paroissiens.
Sa charité proverbiale et sa réputation de sainteté devraient valoir au curé de Mattaincourt la sympathie du cardinal de Richelieu, mais, lorsqu’en 1632, Louis XIII envahit la Lorraine,qui a donné asile à son frère, Gaston d’Orléans, en rébellion contre lui, Pierre Fourier, fidèle à son duc, refuse la présence française et choisit de s’exiler en Franche-Comté.
Au mois de décembre 1640, voilà huit ans que Pierre Fourier est éloigné de sa chère Lorraine. Huit ans qu’il vit misérablement dans un réduit insalubre, au sommet d’une tour médiévale de la cité de Gray, en Franche-Comté, encore sous domination espagnole. Maintenant âgé de soixante-quinze ans, ce qui est bien vieux pour l’époque, « le bon père Fourier » – « le bon curé de Mattaincourt », comme on l’appelle – sait qu’il ne reverra pas son pays et, même pour un si saint homme, ce renoncement est un crève-cœur. Il l’offre à Dieu, pour le salut des âmes auquel il s’est tant dévoué. Le 9 décembre, les gens qui passent devant la tour délabrée où le vieux Lorrain se meurt s’arrêtent, interloqués : une très vive lumière émane de l’étroite fenêtre du galetas ; soudain, ce qu’ils décriront comme « une boule de feu » jaillit par l’ouverture et file dans le ciel, en direction de la frontière lorraine. Dieu a permis à l’âme de Pierre Fourier de revoir sa patrie terrestre avant de gagner l’éternité.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
Un miracle similaire à celui lié à la mort du père Fourier a été rapporté le 21 janvier 1794 à Laval. Ce jour-là, des dizaines de témoins du martyre de quatorze prêtres guillotinés ont affirmé avoir vu leurs âmes planer au-dessus de l’échafaud. Après la mort du dernier supplicié, ces âmes se seraient élevées ensemble vers le Ciel.
Aller plus loin
Jules Rogien, Histoire du bienheureux Pierre Fourier, en trois tomes, 1887-1888.
En complément
Père Jean Bedel, La Vie du très révérend père Pierre Fourier, 1645.
Pierre Antoine, Abrégé de la vie, des vertus et des miracles du bienheureux Pierre Fourier, 1731.
Édouard de Bazelaire, Le Bienheureux Pierre Fourier, curé, réformateur d'ordre et fondateur, 1850. Ouvrage traduit en anglais : The Life of the Blessed Peter Fourier.
Sur la chaîne YouTube du diocèse de Nancy et Toul, la vidéo : Imiter le Christ : saint Pierre Fourier et Alix Le Clerc , par le père Denis Beligné, dans le cadre des conférences du Sedifop consacrées au thème « Imiter le Christ ».
La vidéo d’Arnaud Dumouch : La vie de saint Pierre Fourier, celui dont la seule carrière fut l’âme des pécheurs .