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Les martyrs
Toulouse
Nº 497
250

Saint Saturnin, mis à mort en étant traîné par un taureau (+250)

La tolérance accordée aux chrétiens dans l’Empire romain est précaire. Depuis l’incendie de Rome en 64 et les accusations portées par Néron contre la « secte », la loi est lapidaire : « Il est interdit d’être chrétien. » Sous peine de mort. Cela n’a pas empêché l’Église de grandir et, en deux siècles, les gens honnêtes ont compris que les horreurs colportées au sujet des chrétiens sont fausses. Reste que, de temps en temps, pour apaiser la colère populaire en cas de désastres, ou lors d’un changement de souverain, on déclenche une persécution, plus ou moins longue, violente et étendue. Ce matin de novembre 250, les autorités municipales de Toulouse, désireuses de se faire bien voir du nouvel empereur, Dèce – conservateur hostile à la nouveauté qu’est le christianisme –, ont décidé de lui donner des gages en s’en prenant au premier évêque de la ville, Saturnin.


Les raisons d'y croire

  • La « passion » de saint Saturnin, c’est-à-dire le récit des supplices endurés par le martyr, n’est pas parvenue à nous sous une forme romancée tardive. La version que nous possédons est datable du Ve siècle. Brève et sans ajouts rocambolesques, elle est certainement très proche du procès-verbal d’origine qui relate la mort de l’évêque : l’on peut donc s’y fier.

  • De plus, la mise à mort de l’évêque Saturnin, qui est relatée, est conforme à ce que l’on sait de la persécution de Dèce et des usages de l’époque.

  • Nous possédons une source sûre, celle de l’évêque de Tours, Grégoire, qui évoque les sept évêques missionnaires envoyés en Gaule par le pape Fabien dans les années 240. Nous avons, grâce à lui, un récit de la fondation de ces sept diocèses et de la vie de saint Saturnin.

  • À partir du moment où Saturnin, dont le prénom est parfois déformé en Cernin ou Sorlin, s’installe à Toulouse pour répandre la doctrine du Christ, les oracles des temples avoisinants cessent, malgré les sacrifices des idolâtres. Les desservants des cultes païens se sentent menacés par la présence de Saturnin et décident de le faire tuer.

  • La Tradition et la mémoire ont conservé un souvenir très exact du supplice de Saturnin, inscrit dans la topographie même de la ville et dans le nom de ses rues. On y lit son arrestation, sa condamnation arbitraire, puis l’itinéraire erratique du malheureux taureau qui fut l’instrument de sa mort, depuis les temples du Capitole jusqu’à l’endroit où l’animal terrorisé parvient à se débarrasser du cadavre qu’il traîne après lui. Il est possible de suivre ce parcours, de la place du Capitole jusqu’à la basilique Saint-Sernin, où l’évêque martyr est enterré. On passe en chemin devant l’église Notre-Dame-du-Taur, qui marque l’endroit où Saturnin a rendu l’âme, et la rue des trois Puelles – les trois jeunes filles –, commémorant ainsi le courage de trois jeunes chrétiennes qui recueillirent le corps supplicié et lui rendirent les derniers devoirs. Pareille fidélité du souvenir prouve la vérité du récit et l’impression faite sur la population.

  • Des foules sont venues prier sur son tombeau, devenu un haut lieu de pèlerinage. L’affluence est telle au début du Ve siècle que les reliques du saint sont transférées dans une nouvelle basilique qui porte son nom : Saint-Sernin. Cette popularité s’explique par l’ancienneté et la solidité d’un culte qui n’a jamais cessé, et par le nombre de miracles qui y est recensé. Saint Saturnin est célébré tous les 29 novembre.


En savoir plus

Le prénom Saturnin, signifiant adorateur de Saturne, laisse penser qu’il naît dans le paganisme et qu’il est originaire de la Tunisie moderne, région où la dévotion au dieu romain Saturne, dévoreur de ses propres enfants, a remplacé celle de Baal Moloch, auquel les Carthaginois sacrifiaient leur progéniture.

Dans les années 240, le pape Fabien, soucieux de ne pas abandonner les Gaulois à des évangélisateurs improvisés, d’une orthodoxie douteuse, voire hérétique, choisit parmi le presbyterium romain sept prêtres de confiance, les sacre évêques et les envoie de l’autre côté des Alpes prendre en main les diocèses de Gaule. Ces évêques missionnaires se répartissent ainsi la tâche : Paul part pour Narbonne, Trophime pour Arles, Martial pour Limoges, Austremoine pour Clermont-Ferrand, Denys pour Lutèce, Gatien pour Tours, et Saturnin pour Toulouse.

Ils trouveront des cités plus ou moins accueillantes à l’Évangile, et parfois la mort. La persécution, en effet, reprend en 250, quand certains chrétiens, conscients de leurs devoirs envers Dieu, refusent de prêter sur les autels des idoles le serment civique de loyauté envers Rome et l’Empire, que réclame Dèce. C’est dans ce contexte que Gatien et Denys périront. Curieusement, le Midi, plus christianisé, donc plus surveillé, échappe au pire. Sauf Toulouse.

Saturnin, depuis dix ans, réunit ses frères dans une maison privée tenant lieu d’église, près du Capitole – le cœur politique et religieux de la ville. Les desservants des cultes païens, dont les temples sont tous dans ce quartier, redoutent sa « concurrence ». Depuis que l’évêque est là, les oracles des dieux restent muets. Se débarrasser de Saturnin est urgent. Dès l’édit promulgué, l’évêque dit aux fidèles de ne pas s’y soumettre et donne l’exemple, s’exposant à la prison et à la mort. Il le sait. Un matin, on l’arrête dans la rue, on le conduit au Capitole, pour l’obliger à sacrifier. Saturnin refuse. À s’en tenir à la stricte application de la loi telle que Dèce l’a voulue, il n’encourt, dans un premier temps, qu’un emprisonnement. Mais, comme souvent s’agissant des chrétiens, il n’en sera pas ainsi. L’évêque doit mourir.

Comme il sort du prétoire, l’on amène au temple de Jupiter Capitolin un taureau blanc paré de fleurs et de rubans pour l’immoler au dieu. La vue de l’animal donne des idées. On accroche Saturnin par les pieds à la queue de la pauvre bête, qu’on libère. Rendu fou de panique par l’odeur du sang qui monte du temple où ses congénères sont égorgés, et par les cris et ce corps qu’il traîne derrière lui, le taureau dévale les marches du temple, traverse la place du Capitole, s’engouffre dans une petite rue et s’arrête à un kilomètre de là, en un lieu campagnard où il réussit à se débarrasser de l’homme. Heureusement pour lui, Saturnin s’est fracassé le crâne contre une borne dès le commencement de la fuite du taureau.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

  • Jean-Marie Pailler, Saint Saturnin de Toulouse, évêque, martyr et saint, Éditions Midi-Pyrénéennes, 2018.


En complément

  • Mathieu Richard Auguste Henrion, Histoire ecclésiastique depuis la Création jusqu’au pontificat de Pie IX,1855. Consultable en ligne .

  • Anne Bernet, Les Chrétiens dans l’Empire romain, collection « Texto », Tallandier, 2003.

  • Quitterie et Daniel Cazes, Saint-Saturnin de Toulouse : de Saturnin au chef-d’œuvre de l’art roman, Graulhet, Odyssée, 2008. Disponible en ligne .

  • La vidéo de la chaîne YouTube Histoirelocale  : «  Saint Sernin, martyre et culte  ».

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