
Saint Martin est sauvé du feu par la prière (386)
En janvier 386, au cours d’une tournée épiscopale, saint Martin fait halte pour la nuit dans une paroisse rurale. Désireux de bien l’accueillir, le clergé lui a installé la chambre la plus agréable possible. À peine seul, saint Martin repousse draps, oreillers et couvertures, car il compte rester fidèle à ses habitudes d’austérité et dormir par terre roulé dans son vieux manteau. Aussi, la literie s’entasse sur un dallage abîmé et disjoint. Or, le presbytère, aménagé dans les ruines d’un luxueux domaine campagnard, dispose d’un hypocauste, chauffage par le sol entretenu à la cave par un brasier dont les flammes passent à travers les fentes du pavage abîmé… Martin s’endort sans voir le danger. Vers minuit, la chaleur et la fumée le réveillent. Il est prisonnier d’un incendie et, comme n’importe qui à sa place, il panique.
Les raisons d'y croire
La vie de saint Martin est une telle suite de miracles et de prodiges que, de son vivant déjà, l’archevêque de Tours est considéré comme le plus grand des thaumaturges. Nul n’imagine cet homme, capable de tous les exploits et tenant tête aux puissants comme aux démons, montrer une faiblesse ordinaire, perdant tous ses moyens face au péril. Malgré son heureux dénouement, cette anecdote peint le saint sous un jour peu glorieux, susceptible de nuire à sa réputation. Ni lui ni son biographe n’ont donc intérêt à raconter cette histoire, peu à l’avantage de Martin. Par conséquent, elle est vraie, et Martin manifeste sa sainteté et son humilité quand il tient à la révéler, se montrant à l’opposé du surhomme que certains imaginent.
Nous avons la chance exceptionnelle de posséder une biographie de Martin écrite dans les derniers mois de sa vie par Sulpice Sévère, riche et brillant avocat qui s’est dépouillé de sa fortune après la mort de sa jeune épouse. Lettré et cultivé, étonné de ce qu’il entend dire de Martin, Sulpice décide de le rencontrer et de juger par lui-même de la véracité des faits. Il se rend à Tours interroger Martin, puis recoupe les renseignements obtenus auprès de nombreux témoins. Sa Vita Martini, travail de journaliste et d’historien, est un récit qui correspond aux critères actuels du sérieux historique.
La cause de l’incendie – cela ne fait aucun doute – est naturelle : fatigué, préoccupé, Martin n’a pas vu qu’en accumulant des matériaux inflammables au-dessus d’un foyer mal isolé, il risquait de mettre le feu. Il s’agit à l’origine d’une simple imprudence. Martin, quand il se réveille, le comprend et réagit à un accident ordinaire de manière ordinaire : il court vers la porte de la chambre et tente de s’échapper.
Toutefois, il constate, effaré, qu’en dépit de tous ses efforts, il est impossible d’ouvrir le verrou de sa chambre, qui demeure inexplicablement bloqué. Ce genre de phénomène est connu des exorcistes mais aussi, parfois, des pompiers et des services de secours qui constatent, sans trouver d’explication rationnelle, que l’on ne peut pas expliquer la résistance d’une porte que rien, en apparence, ne devrait empêcher de s’ouvrir.
Non moins curieux, ni la violence de l’incendie, qui devrait avoir réveillé la maisonnée et le voisinage, ni les appels au secours de Martin n’attirent l’attention de qui que ce soit.
Martin comprend finalement que cet incendie, explicable en ses commencements, prend une tournure surnaturelle et qu’il est, une fois de plus, victime d’une attaque démoniaque. Ainsi qu’il le dira à Sulpice Sévère : « Il me confiait et m’avouait, non sans gémir, que les artifices du diable l’avaient abusé en lui ôtant l’idée, quand il se réveilla en sursaut, de repousser le danger en le combattant par la foi et la prière. En fin de compte, le feu sévit autour de lui aussi longtemps que, l’esprit troublé, il essaya de sortir en forçant la porte. Mais, dès qu’il reprit l’étendard de la croix et les armes de la prière, le centre du brasier s’écarta et il sentit alors les flammes comme une rosée après avoir fait la fâcheuse expérience de leur brûlure. »
En effet, reprenant ses esprits et sa lucidité, ayant identifié l’ennemi, Martin trace un large signe de croix au-dessus du brasier qui recule, laissant l’archevêque dans un cercle de fraîcheur au centre duquel les secours, quand ils arrivent enfin et défoncent la porte, le trouvent à genoux en prière, sain et sauf, alors que l’on s’attendait à le trouver mort, carbonisé. Ses vêtements ont été enflammés et le feu lui a causé des brûlures qui seront constatées.
Sulpice Sévère conclut que « l’épreuve fut vraiment pour Martin probante » et salutaire puisqu’elle lui a rappelé qu’il n’était rien sans une véritable union à Dieu, seule raison des prodiges qu’il opère.
En savoir plus
Né en 316 à Sabaria, en Pannonie (actuelle Hongrie), fils d’officier romain, Martin, que son prénom voue à Mars, dieu de la guerre, est élevé dans le paganisme et le mépris de la foi chrétienne. Mais, en 327, la mutation de son père à Pavie, en Italie, lui permet de découvrir le Christ et de désirer le baptême, qui lui est refusé en raison de sa minorité. Averti de la conversion de son fils, son père, en 332, croit le détourner de la religion en le livrant aux autorités, afin que l’adolescent remplisse ses obligations militaires. Ce sera pour Martin le chemin du salut.
En 333, Martin est envoyé en garnison à Amiens. L’hiver suivant, alors que la région subit un froid polaire, Martin donne aux pauvres tout ce qu’il a sur lui. Bouleversé par un mendiant transi à la porte de la ville, il donne encore la moitié de son manteau d’officier, celle qui lui appartient légalement puisqu’il l’a payée sur sa solde. La nuit suivante, le Christ lui apparaît resplendissant, revêtu de ce demi-manteau, et dit aux anges qui l’entourent : « Martin, qui n’est pas encore chrétien, m’a revêtu de son manteau. » Peu après, le jeune homme reçoit le baptême et quitte l’armée, après avoir bénéficié au combat d’une grâce de protection éclatante. Il embrasse alors la vie monastique à Trèves, puis à Poitiers, auprès de l’évêque Hilaire.
Au terme de nombreuses péripéties et des persécutions des hérétiques ariens qui le contraignent à l’exil, Martin fonde le monastère de Ligugé, dont on l’arrache en 371, en raison de sa déjà grande réputation de sainteté, pour le faire archevêque de Tours et métropolite de la Lyonnaise Troisième, autrement dit la première personnalité ecclésiastique de l’ouest de l’empire. Dans ses fonctions, Martin révèle, outre ses vertus et sa charité, ses qualités et son audace d’évangélisateur, façonnant le visage de la chrétienté gauloise.
Il meurt à la tâche à Candes, lors d’une tournée pastorale, le 11 novembre 397. Ses derniers mots sont : « Non recuso laborem. » Je ne refuse pas le travail.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
L’une des forces de cette biographie est de relater les miracles et les actes admirables de Martin, sans omettre, à la demande absolue du principal intéressé, des faits moins glorieux. Cela permet de restituer l’épisode de l’incendie dans le contexte des années 380 et les difficultés politiques auxquelles Martin est confronté après la prise de contrôle des Gaules par l’usurpateur Maxime. Obligé de ménager ce faux empereur pour protéger des personnes contre lesquelles Maxime menace d’exercer des représailles si l’Église ne lui cède pas, Martin est contraint, sous la pression, de négocier avec lui des accords dont il a honte. Se sentant inférieur à ses devoirs, il se considère comme un pécheur qui ne mérite plus les bénédictions divines. C’est alors que survient l’incident de 386.
Aller plus loin
Sulpice Sévère, Vie de Saint Martin, Sources chrétiennes, Le Cerf, 1998. Disponible en ligne , en diverses langues, dont le français et l’anglais.
En complément
Albert Lecoy de La Marche, Vie de saint Martin, Mame, 1895. (Une autre édition est disponible en ligne ).
Régine Pernoud, Saint Martin, Bayard, 1996.
Anne Bernet, Saint Martin, l’apôtre des Gaules, Clovis, 1996.
Ivan Gobry, Saint Martin, Perrin, 1996.
Alain Pastor, Une vie de saint Martin, Artège, 2016.
Sur KTO TV, l’émission « Au risque de l’histoire »sur saint Martin de Tours, 2022.
La vidéo d’Arnaud Dumouch : La vie de saint Martin de Tours, le miséricordieux .
Discographie : Patrice et Roger Martineau, Le bel été de la Saint-Martin, Médiaspaul, 1997.