
Le chapelet et l’officier de la Grande Armée (1808)
Versé en 1808 dans le 12e régiment d’infanterie de ligne en tant que chirurgien, le jeune médecin miliaire Gaultier de Claubry se retrouve pris dans le soulèvement du Dos de Mayo. La population madrilène ne supporte plus la présence des troupes françaises et la tentative de Napoléon de détrôner le roi Charles IV pour mettre son frère Joseph à sa place. Toute la nuit et une partie de la matinée, les insurgés vont massacrer tout Français qui a le malheur de tomber entre leurs mains. Alors qu’ils vont tuer le jeune docteur, il a soudain l’inspiration de sortir la plus redoutable des armes en sa possession : son chapelet. L’effet est instantanément miraculeux.
Les raisons d'y croire
C’est Emmanuel Gaultier de Claubry lui-même qui répandra très vite l’histoire de son sauvetage. Nous avons donc une version de première main. Or, le docteur Gaultier, fils d’un professeur de médecine, est un scientifique parfaitement formé, d’une grande rigueur intellectuelle et qui sera membre de l’Académie de médecine. Ce n’est donc pas quelqu’un de crédule prêt à trouver une explication surnaturelle à n’importe quoi.
Il sait très bien que sa grande piété et sa forte dévotion mariale le singularisent et lui attirent de nombreuses moqueries qui risquent de nuire à sa carrière, militaire ou civile. L’armée napoléonienne est largement composée d’anciens soldats de la Révolution, très hostiles au catholicisme, et l’avancement se fait beaucoup par les loges maçonniques ; afficher sa foi catholique demande une forme d’héroïsme. Gaultier n’aurait donc aucun intérêt à répandre un récit inventé et seule la réalité des faits le pousse à parler.
Prudent, le jeune homme commencera par consulter plusieurs prêtres et religieux, espagnols, français et italiens, leur demandant s’il se trompe en voyant une explication miraculeuse et providentielle à sa survie.
Au nombre des personnes qui l’encourageront à répandre son récit figure le futur saint Eugène de Mazenod, un ami d’enfance. Personnalité intègre et qui a les pieds sur terre, Eugène sait que répandre des niaiseries pieuses aurait un effet contraire à celui espéré. Cela participe à attester le sérieux de l’histoire.
La première réaction d’Emmanuel Gaultier de Claubry, ce 2 mai, alors qu’il risque la mort, n’est pas de se défendre ou de chercher une échappatoire qui lui sauverait la vie, mais de se recommander par la prière à la Sainte Vierge.
À l’Espagnol qui le traite « d’impie », le jeune médecin rétorque : « Moi ? Impie ? Je ne le suis pas ! En voulez-vous la preuve ? », et il sort son chapelet de sa poche. Ce n’est pas assez pour le tirer d’affaire, tant l’atmosphère est violente et les insurgés excités. Mais soudain, alors que les gens de bon sens se terrent chez eux en attendant la fin de l’émeute, surgit un Espagnol qui fréquente la même église et peut témoigner de la piété de ce Français-là. Il y a quelque chose de providentiel dans cette coïncidence inespérée. C’est d’ailleurs ce qui frappera le plus Gaultier.
Aussitôt, les hommes échauffés qui s’apprêtaient à le tuer se calment, embrassent pieusement le chapelet, puis mettent le jeune médecin en lieu sûr, lui évitant une mort certaine et horrible, car les autres soldats français tombés entre leurs mains seront systématiquement massacrés.
Avec un calme et une lucidité qui plaident en sa faveur, le docteur Gaultier se borne à conclure son récit en disant sobrement : « Plus je réfléchis aux circonstances de cet événement, plus je reconnais devoir la vie à la protection de la Vierge du Rosaire. Si ce n’est pas un miracle, c’est au moins une assistance spéciale et manifeste. » Jusqu’à la fin de ses jours, le docteur Gaultier fera célébrer des messes d’actions de grâce pour cet événement.
L’anecdote fait partie des nombreuses grâces obtenue par Notre Dame du Rosaire, fêtée le 7 octobre.
En savoir plus
Né à Paris le jour de Noël 1785, Charles Emmanuel Simon Gaultier de Claubry est le fils d’un professeur de médecine appartenant au groupe envié des praticiens attachés à la famille royale. Après la Révolution, celui qui se fait désormais appeler simplement Gaultier entame des études de médecine et se spécialise en chirurgie. S’il consent à laisser oublier les anciens attachements familiaux à la monarchie, il ne renie rien, en revanche, de sa foi catholique. Dès le Concordat et la reprise du culte, il se reprend à fréquenter sa paroisse Saint-Thomas-d’Aquin, où il entre dans la confrérie du Rosaire, qui vient de renaître.
Lorsque Emmanuel a été appelé sous les drapeaux et versé dans le service de santé au sein du 30e régiment de dragons, en 1805, son ami Mazenod l’encourage à n’avoir honte ni de sa foi ni de sa pratique religieuse. Il parviendra à rester intégralement fidèle aux engagements pris. Parmi ces promesses, outre la récitation quotidienne du rosaire, figure la communion réparatrice du premier dimanche du mois en l’honneur de Marie.
Une fois démobilisé, le docteur Gaultier marchera sur les traces de son père et fera dans le civil une très belle carrière médicale, s’illustrant par de nombreuses publications savantes qui le conduiront à l’Académie de médecine. Il meurt à Paris le 22 décembre 1855.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Outre des résumés succincts disponibles en ligne sur la vie et la carrière du docteur Gaultier, il existe deux ouvrages de piété anonyme qui relatent le miracle : Le Nouveau mois de Marie et Le Manuel du chapelet et du rosaire.
En complément
Les articles 1 000 raisons de croire qui rapportent les miracles obtenus par la prière du chapelet et par l’intercession de Notre Dame du Rosaire .