
Au milieu des ruines, la cellule de Léopold Mandic est intacte (1944)
Né en 1866 en Croatie, dans un port de l’Adriatique où toutes les nations et tous les cultes se côtoient, le jeune Mandic, issu d’une famille catholique, éprouve, dès l’adolescence, une profonde souffrance en songeant à la rupture entre les Églises d’Orient et d’Occident. Il revêt l’habit au couvent capucin de Vénétie (Italie) en 1884 et est ordonné prêtre en 1890. Atteint d’un cancer incurable dont il offre les souffrances pour les pécheurs et la fin du schisme, ce qui lui vaut d’être le patron des cancéreux, Léopold s’écroule sur les marches de l’autel alors qu’il vient de célébrer sa messe. Il meurt le lendemain, 30 juillet 1942. Il est canonisé en 1992.
Les raisons d'y croire
Léopold Mandic désire œuvrer à la réconciliation des Églises d’Orient et d’Occident et prêcher pour le retour des orthodoxes dans le bercail de Rome. Mais ses supérieurs décident de l’atteler à une autre tâche : le sacrement de réconciliation. Il se soumet par obéissance, acceptant d’aller à l’encontre de ses rêves. Ce renoncement est une haute forme de sainteté.
À compter de 1906 et jusqu’à son dernier jour, père Léopold vit confiné dans le confessionnal installé dans sa minuscule cellule et n’en bouge pratiquement pas, toujours disponible pour ceux qui ont besoin de faire la paix avec Dieu. Ni le froid glacial de l’hiver, car le couvent n’est pas chauffé, ni la chaleur étouffante de l’été ne le font renoncer à son ministère. S’il souffre de ces rudes conditions, il l’offre à Dieu, prenant sur lui par ces sacrifices tout ou partie de la peine due par ses pénitents, dont il acquitte lui-même les dettes envers le Ciel.
L’on surnomme Léopold Mandic « le martyr du confessionnal ». Il est vrai qu’à l’instar du Curé d’Ars et d’un autre capucin, son contemporain Padre Pio , il aura consacré sa vie à ce ministère qu’il n’avait pas choisi et auquel il ne se sentait pas appelé, passant plus de quinze heures par jour à entendre et absoudre les pécheurs afin de les réconcilier avec Dieu, jusqu’à la veille de sa mort, alors qu’un cancer en phase terminale le dévorait. Il lui faut une foi et une abnégation hors du commun pour accepter cette besogne harassante, s’oubliant complètement lui-même.
Même s’il se dévoue à cette tâche, touchant les plus endurcis, il garde l’impression de n’être pas là où il devrait être, toujours préoccupé par son rêve de mission en terre orthodoxe. Jusqu’au jour où le pénitent qu’il vient d’absoudre lui déclare : « Mon Père, Jésus me demande de vous répéter ce qu’il vient de me dire : "Votre Orient à vous est ici dans chacune de ces âmes que vous secourez et assistez par la confession." » Or, nul, sinon ses supérieurs, ne connaît l’aspiration inassouvie du père Léopold. Il faut donc que ce message vienne bel et bien de Dieu, qui lui demande de renoncer à ses projets personnels. Cela fait trente ans que le religieux attend de partir vers l’Orient. Il y renonce, demandant au Christ de faire de ce renoncement une offrande en vue de la réconciliation à laquelle il ne peut œuvrer personnellement.
Même s’il tente de cacher les grâces mystiques dont il bénéficie, il arrive au père Léopold d’en laisser voir involontairement parfois quelque chose. C’est le cas en 1932, quand un pénitent venu se confesser le trouve en larmes, bouleversé, sous l’effet de la vision prophétique qu’il vient d’avoir ; il répète d’une voix brisée : « L’Italie sera une mer de feu et de sang… Mon Dieu, faites que je me trompe !!! », puis il affirme que cette annonce se réalisera, que le couvent sera détruit mais que l’on retrouvera son confessionnal intact, ce qui se réalisera.
Dans la nuit du 14 mai 1944, l’aviation américaine écrase Padoue sous les bombes. La ville est ravagée, les victimes nombreuses. Les édifices religieux n’ont pas été épargnés. Du couvent des Capucins, un bel ensemble médiéval, reste un monceau de ruines. Quand les frères rescapés viennent constater les dégâts, la stupeur les saisit : alors que tout est détruit alentour, deux objets, intacts, émergent des gravats : le confessionnal qui se trouvait dans la cellule du vieux Padre Léopold, décédé deux ans plus tôt, et la statue de la Madone devant laquelle il célébrait sa messe quotidienne.
En savoir plus
Onzième et avant-dernier enfant d’un couple catholique originaire de Croatie mais aux lointaines racines bosniaques, Ivan Bogdan (Dieudonné) Mandic naît le 12 mai 1866 à Castelnuovo di Cottaro, aujourd’hui Herceg Novi, au Monténégro. Au contact du monde multiconfessionnel qui se presse dans ce port de l’Adriatique, il ressent l’appel d’œuvrer à la réconciliation des Églises catholique et orthodoxe.
En 1882, en dépit de sa taille minuscule – il atteint tout juste 1,35 m – et un défaut de prononciation qui le rend inapte à la prédication, il est admis chez les capucins d’Udine. Il prend l’habit et le nom de Léopold en 1884 au couvent de Bassano di Grappa, puis poursuit ses études de philosophie et de théologie. Une fois ordonné prêtre, en 1890, Léopold étudie le grec, ainsi que les langues slaves et orientales, afin de pouvoir œuvrer à la conversion des orthodoxes à la foi de Rome. La culture ne suffisant pas, il s’inflige de nombreuses pénitences afin, par ses souffrances et privations, d’obtenir les grâces nécessaires pour toucher les cœurs et convertir au catholicisme ses interlocuteurs.
Nommé supérieur, père gardien, du couvent capucin de Zara, sur la côte dalmate, il s’attache à accueillir les étrangers, donnant par sa charité – lui, incapable de prêcher – la meilleure image possible de l’Église catholique. Cependant, il est très vite renvoyé en Italie. C’est afin de garder la possibilité de circuler dans les Balkans, alors possessions de l’empire d’Autriche et réaliser ce qu’il croit être sa vocation, qu’il conserve sa nationalité dalmate. Cela lui vaut, pendant la Première Guerre mondiale, d’être interné comme sujet d’une puissance étrangère ennemie – Autriche et Italie étant en guerre. Envoyé en 1919 au couvent de Padoue, dont il sera impossible de l’éloigner en raison des protestations de ses dirigés et pénitents chaque fois que l’on s’y essaiera, Léopold se consacre désormais à longueur de journée au ministère de la réconciliation, passant son temps au confessionnal.
Se souvenant de l’humiliation ressentie, petit garçon, quand son curé lui a infligé une pénitence publique pour une peccadille d’enfant, il traite les pécheurs par la bonté et la miséricorde, de sorte que sa cellule-confessionnal ne désemplit pas. Ses pénitents, riches, pauvres, nobles, ouvriers, illettrés, universitaires, le décrivent « toujours disponible, souriant, patient, compréhensif, éclairé ». De nombreux prêtres le prennent pour directeur de conscience, dont un certain abbé Albino Luciani, qui deviendra le pape Jean-Paul Ier.
Les privations que Léopold s’inflige détruisent sa santé. En 1941, il se porte si mal que ses supérieurs l’obligent à consulter. On lui diagnostique un cancer de l’estomac métastasé à l’œsophage, incurable. Il lui reste dix-huit mois à vivre. Malgré des souffrances atroces, offertes pour les pécheurs et la fin du schisme, Léopold poursuit sa tâche de confesseur comme si de rien n’était, demandant la seule grâce d’être utile jusqu’à la fin. Il déclare : « La seule mort digne d’un prêtre, c’est sur la brèche, succombant à ses fatigues apostoliques. » C’est en sortant du confessionnal, après avoir célébré la messe, qu’il s’écroule sur les marches de l’autel, le 29 juillet 1942. Il meurt le lendemain matin, ayant œuvré jusqu’au bout à la vigne du Père. Martyr silencieux de son devoir d’état et du salut des âmes.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
La vidéo d’Arnaud Dumouch : La vie de Léopold Mandic, le confesseur miséricordieux .
En complément
Padre Bernardini, Léopold Mandic, saint de la réconciliation, Éditions Capucines, 1986.
Pina Baglioni, Leopold Mandic, il fraticello che voleva tutti in Paradiso, Arès, 2004 (en italien).
Bob and Penny Lord, Saint Leopold Mandic, 2016 (en anglais).