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Les saints
Besançon, Suisse
Nº 334
1765 – 1826

Jeanne-Antide Thouret : partout où Dieu voudra l’appeler (+1826)

Au mois d’août 1797, une jeune femme de trente-deux ans arrive au sanctuaire suisse de Notre-Dame-des-Ermites.Elle se nomme Jeanne-Antide Thouret. Entrée chez les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul en 1787, elle a été chassée de son couvent parisien par la Révolution en 1793. Depuis, après de nombreuses épreuves et des pérégrinations épuisantes, elle cherche un moyen de reprendre la vie religieuse. S’arrêter en ce lieu encore préservé des persécutions révolutionnaires, y rester, s’y consacrer à la prière et à la charité lui semble une solution après tant de soucis et de peines. Cependant, redoutant de faire là sa volonté plutôt que celle de Dieu, Jeanne-Antide décide de prendre conseil auprès d’un des religieux de l’endroit. La réponse qu’elle reçoit après s’être confessée ne sera pas celle qu’elle espérait et, loin de lui assurer le calme et la tranquillité auxquels elle aspirait, elle va la précipiter, par obéissance, dans des fatigues et des problèmes incessants.


Les raisons d'y croire

  • Depuis son enfance, Jeanne-Antide Thouret a pour ambition de se donner à Dieu dans le service des pauvres et des malades, envers lesquels elle éprouve une tendresse particulière. Ce désir la conduit en 1787 chez les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, dont le mode de vie et la spiritualité correspondent à ses attentes. Elle tisse des liens spirituels privilégiés avec le saint fondateur qu’elle appelle « mon père ». Cette fidélité à Monsieur Vincent, qui ne se démentira jamais, ne sera pas sans lui occasionner des problèmes.

  • À peine entrée au noviciat parisien, Jeanne-Antide tombe malade, ce qui pourrait conduire à son renvoi. Elle prie saint Vincent de lui venir en aide et guérit, jouissant désormais d’une excellente santé, qu’elle attribue à son intercession. Cela lui permet de rester dans la congrégation.

  • En 1793, la dispersion des communautés religieuses et le renvoi des sœurs dans leur famille l’obligent à quitter Paris pour rentrer à Sancey-le-Long, en Franche-Comté. Avant le départ des sœurs, la supérieure leur adresse un bref discours d’adieu, leur disant : « N’abandonnez pas le service des pauvres, ne vous laissez pas décourager. Que rien ne vous détourne de la fidélité au Christ et à l’Église », programme susceptible, en pleine persécution, d’envoyer à l’échafaud, mais auquel Jeanne-Antide demeurera fidèle toute sa vie, ce qui demande une persévérance et un courage héroïques.

  • Arrivée en Suisse en août 1797, elle y trouve une lettre de deux ecclésiastiques de Besançon, qui lui demandent de rentrer car ils veulent lui confier la direction d’une œuvre éducative et caritative qu’ils ambitionnent de fonder. Jeanne-Antide est hésitante, bien que ce projet puisse correspondre à ses aspirations. La persécution religieuse n’est pas finie, et elle redoute que l’idée soit sans lendemain. Elle décide de passer par Notre-Dame-des-Ermites afin de prendre conseil. Elle exerce admirablement la vertu de prudence et se montre soucieuse d’obéir à la volonté de Dieu sur elle.

  • Après l’avoir entendue en confession, le religieux lui répond, sur un ton de certitude absolue : « Ma fille, Dieu vous veut en France. La jeunesse abandonnée à l’ignorance vous attend. Allez, comme une bonne Fille de Saint-Vincent, évangéliser les pauvres. » Il y a dans ces paroles un aspect prophétique. Ne doutant pas que Dieu s’exprime par l’intermédiaire de son confesseur, Jeanne-Antide obéit aussitôt.

  • De retour à Besançon le 15 août, elle crée en avril 1799 une école gratuite pour filles qui permet de reprendre en main l’éducation des enfants, la Révolution ayant détruit l’enseignement en France. Elle accepte aussi de soigner les malades et fonde un « bouillon des pauvres », équivalent d’une soupe populaire. Elle fait tout cela dans l’esprit des œuvres vincentiennes auxquelles elle reste fidèle et qu’elle prend pour modèle.

  • En 1802, les prêtres qui la dirigent lui demandent de fonder une congrégation et de rassembler des vocations autour d’elle. Même si elle n’a jamais envisagé pareille responsabilité, Jeanne-Antide accepte et rédige une règle qui est le décalque du règlement des Filles de la Charité. Comme il lui a été impossible, au milieu des ruines révolutionnaires, de s’en procurer un exemplaire, elle l’a reconstitué de mémoire, presque à l’identique, d’une façon que l’on peut estimer providentielle.

  • Très vite, les fondations d’écoles et de dispensaires se multiplient, ainsi que les secours aux pauvres. Elle accepte de prendre en charge les détenus de la prison de Bellevaux. Elle va leur assurer de quoi manger, ainsi que l’éducation qu’ils n’ont jamais reçue, leur faisant apprendre un métier et leur permettant de travailler, donc de subvenir à leurs besoins. Là encore, il faut faire preuve de sacrifice et de courage pour se vouer à cette tâche ingrate. Cependant, les vocations abondent, preuve que le Ciel bénit ses initiatives.

  • Alors que ses œuvres se développent en France, Jeanne-Antide accepte de tout quitter pour fonder une maison à Naples. Elle ne fait aucun cas des fatigues de cette mission et des difficultés d’une transplantation dans un pays étranger dont elle ignore la langue. Ainsi met-elle en pratique la parole de saint Vincent : « Je ne suis ni d’ici ni d’ailleurs, mais de partout où Dieu voudra m’appeler» Elle ajoute à l’intention de ses filles : « Quand Dieu appelle et qu’on l’entend, il donne tout ce qu’il faut », prouvant son abandon à la providence.


En savoir plus

Cinquième d’une famille de neuf enfants, fille de pieux agriculteurs, Jeanne-Antide Thouret est née le 27 novembre 1765 à Sancey, près de Besançon. Entrée en 1787 chez les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, à Langres d’abord, puis à Paris, elle croit pouvoir passer sa vie à servir « nos seigneurs les pauvres », mais la Terreur la chasse de son couvent et la contraint à regagner la Franche-Comté.

En 1795, la jeune fille, en quête d’un moyen de renouer avec la vie religieuse, toujours interdite en France, entend parler du père Receveur, prêtre français réfugié en Suisse, toute proche, qui réunit autour de lui des religieux, des religieuses ou des personnes qui souhaiteraient le devenir et ne le peuvent plus à cause de la persécution. Elle pense trouver là une nouvelle communauté. En réalité, malgré les bonnes intentions affichées de ce groupe mélangé, ceux qui se font appeler « les Solitaires » n’ont aucune structure ni d’endroit où s’installer. Probablement suspects aux yeux des autorités ecclésiastiques, ils en sont réduits à errer sur les routes de Suisse et d’Allemagne dans des conditions précaires et dangereuses, repoussés de partout. Comme souvent dans les périodes de troubles et de désorientation, le risque de dérive sectaire est grand et le père Receveur affiche des positions, notamment sur les questions de charité, qui heurtent de plus en plus Jeanne-Antide. En avril 1797, après deux années d’errance en sa compagnie, alors qu’ils viennent d’arriver à Passau, sur les bords du Danube, elle se refuse à continuer avec ces étranges compagnons auxquels elle reproche « leur stupidité ». Cette mauvaise expérience pourrait l’écarter de la vie religieuse, mais sa fidélité à ses engagements est inébranlable. La décision de se séparer des Solitaires et de repartir seule vers la France prouve la lucidité de la jeune fille, sa fidélité à l’Église et son courage, car le voyage n’est pas sans danger. Elle possède donc la vertu de force à un degré élevé.

Après avoir pris conseil, elle décide d’accepter la proposition qui lui est faite par deux ecclésiastiques de Besançon de fonder une école, puis une congrégation. En 1810, les Filles de la Charité se sont reconstituées et ne veulent pas que la congrégation de Jeanne-Antide, même si elle a été l’une d’entre elles, semble dépendre d’elles. La fondation est rebaptisée Sœurs de la Charité de Besançon, en insistant cependant sur la filiation vincentienne. Ce faisant, Jeanne-Antide montre à la fois sa fidélité à saint Vincent et son obéissance aux supérieurs.

Appelée en Italie, elle part en 1810 pour Naples, où elle prend en charge l’hôpital des Incurables. La réussite étant une fois encore au rendez-vous, elle obtient, en 1819, la reconnaissance de son œuvre par un bref de Pie VII qui lui met à dos le nouvel archevêque de Besançon, Mgr de Pressigny. De tendance gallicane, il prend comme une insulte qu’un établissement dépendant de son autorité s’en affranchisse pour se placer sous celle du pape. Dès lors, et jusqu’à sa mort en 1823, il livre à Jeanne-Antide une persécution d’une rare cruauté.

Alors qu’elle rentre en France, elle apprend, lors d’une halte à Thonon, que Mgr de Pressigny l’a relevée de son supériorat sur les maisons situées dans sa juridiction et lui interdit l’accès à son diocèse. Feignant de la tenir « pour une simple séculière », il menace d’en appeler à la justice si elle passe outre à ses ordres. Jeanne-Antide est si bouleversée de la nouvelle qu’elle défaille, elle, la courageuse, et doit s’accrocher un instant à un meuble, que l’on montre toujours à Thonon, pour ne pas tomber.

Mgr de Pressigny n’hésite pas à la calomnier, prétendant qu’elle n’a « ni les vertus ni les qualités nécessaires à une supérieure, ni même celles d’une bonne religieuse ». Dans un désir de conciliation, Jeanne-Antide demande une entrevue à Mgr de Pressigny lors d’un passage à Paris, avec l’appui du nonce et de personnalités bisontines. Mais il lui refuse publiquement la bénédiction qu’elle lui demande et refuse d’entendre ses explications et justifications, scandalisant ainsi les témoins. Face à tant d’injustice, Jeanne-Antide se borne à conseiller à ses sœurs, au bord de la révolte : « Abandonnez-vous entre les mains paternelles de Dieu et vous éprouverez de la joie », tentant d’empêcher les religieuses qui lui restent attachées de provoquer une scission dans l’ordre pour la soutenir. Le nonce lui fixe pour ligne de conduite « d’attendre le moment de la providence ». Elle se conforme à son avis. Sa seule défense est cette prière qu’elle récite dans les épreuves : « Dieu seul est grand, Dieu seul est saint, Dieu seul est tout-puissant. Faites éclater votre bonté et vos anciennes miséricordes. Mettez-vous entre moi et mes ennemis. »

Contrairement à ce que l’on a parfois dit, en la montrant frappant en vain à la porte de sa maison, qu’on ne lui ouvre pas, Jeanne-Antide pousse obéissance, renoncement et abandon jusqu’à ne pas remettre les pieds chez elle. De retour à Naples, elle y meurt le 24 août 1826 d’une crise de diabète, sans avoir revu la France. Elle est enterrée dans l’église Santa Maria Regina Coeli. Elle est canonisée en 1938.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

L’article de Maria Clara Rogati : « L’Expérience de vie de sainte Jeanne-Antide Thouret », Vincentiana, nov.-déc. 2007 ( disponible en ligne ).


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