
Gabriel de l’Addolorata, le « jardinier de la Sainte Vierge » (+1862)
Né à Assise, où son père était gouverneur, Francesco Possenti pourrait se laisser agréablement vivre, s’adonner à sa passion pour la chasse et la danse, profiter de son charme et de sa beauté, ce qu’il fait d’ailleurs jusqu’à l’âge de dix-huit ans, malgré les appels discrets mais insistants du Ciel, qui a d’autres vues sur lui. Lors d’une fête du Cœur immaculé de Marie, il voit l’image de la Madone tourner les yeux vers lui et le regarder d’une telle manière qu’il ne pourra l’oublier. Il entend Marie lui dire qu’il doit renoncer au monde et faire pénitence. Malgré l’opposition de sa famille, il entre chez les Passionnistes, congrégation vouée à méditer les souffrances de Jésus, et il devient Gabriele de l’Addolorata, Gabriel de Notre-Dame des sept douleurs. Il meurt le 27 février 1862.
Les raisons d'y croire
Issu d’une riche famille, promis à une très belle carrière, Francesco Possenti résiste depuis des années à l’appel divin. Il répugne à quitter un monde qu’il aime, où il brille, qui l’attire. La voix de la Madone ne traduit donc pas un désir refoulé ; c’est même tout le contraire.
Aux paroles entendues l’invitant à quitter le monde pour « faire pénitence » s’ajoute un « flash » lui révélant la congrégation où il doit entrer : Francesco voit nettement l’habit marqué de la croix que portent les frères Passionistes, voués à expier les péchés du monde en s’associant au calvaire du Christ. Ce choix ne saurait venir de lui, car il aurait plutôt d’abord pensé aux jésuites, dont il a été l’élève.
De toute manière, Francesco a d’autres projets. Il est amoureux d’une jeune fille de la bonne société, rencontrée lors d’un bal ; il a obtenu de son père la permission de lui faire la cour et de l’épouser au terme de ses études. Ce changement de cap brutal, en une seconde, ne s’explique donc que par le regard de la Vierge, qui l’a métamorphosé.
Après la révélation du 22 août 1856, Francesco peut relire toute sa vie sous un angle providentiel. Il se souvient par exemple qu’à quatorze ans, il s’est remis sans l’aide du médecin d’une maladie estimée mortelle. Lors de sa maladie, Francesco, qui ne voulait pas mourir si jeune, a promis, en cas de guérison, d’entrer en religion. Son confesseur et son père lui ont dit que ce vœu n’avait aucune valeur devant Dieu et qu’il ne devait plus y penser. Il a été trop content de les croire et n’en a jamais éprouvé de remords.
L’année précédente, lors d’une partie de chasse – son autre passion avec la danse –, Francesco a glissé en sautant un fossé et son fusil, échappé de ses mains, a laissé partir une décharge qu’il aurait dû prendre en pleine poitrine et qui l’aurait tué sur le coup.
Quand il révèle ses nouveaux projets à son père, celui-ci, en dépit de sa piété, est horrifié. Des treize enfants que lui a donnés sa défunte épouse, morte jeune, beaucoup n’ont pas atteint l’âge adulte et, parmi ses fils survivants, l’un a déjà choisi l’état religieux en entrant chez les Dominicains. Sante Possenti estime avoir ainsi fait son devoir de chrétien. De plus, Francesco est de santé fragile et sa famille est persuadée qu’il ne supportera pas le terrible mode de vie des Passionnistes. Ils feront donc l’impossible pour le détourner de sa vocation, mais en vain.
Lui, qui avait jadis si peur d’une mort prématurée, réclame au Ciel, au moment de sa profession religieuse, « la grâce de mourir jeune », de préférence tuberculeux, car cette maladie promet une lente et pénible agonie qui lui permettra d’offrir ses souffrances pour ses péchés et ceux des autres et de se préparer au trépas. Ses supérieurs exigent qu’il ajoute cette restriction : « Si cela est pour la plus grande gloire de Dieu. »
Sa demande est exaucée, puisqu’il meurt à vingt-trois ans après une terrible nuit d’agonie. Serrant désespérément le crucifix, le jeune homme demande l’image de Notre Dame des sept douleurs qu’il vénère. À l’instant où on la lui met entre les mains, il entre en extase et s’éteint paisiblement, en contemplant la Madone qu’il a tant aimée. Ainsi Marie confirme-t-elle ce que Gabriele aimait à dire : « Si nous compatissons à ses douleurs, elle compatira aux nôtres et, à la dernière heure, viendra visiblement à notre chevet nous assister. »
Rien ne devrait attirer l’attention sur ce garçon mort à vingt-trois ans dans un couvent perdu d’un ordre peu connu, mais à peine Gabriele a-t-il rendu l’âme que les miracles se multiplient sur sa tombe, faisant très vite de sa sépulture un lieu de pèlerinage qu’il faudra agrandir pour accueillir les milliers de fidèles, en majorité des jeunes, qui viennent le prier. Il y gagne le surnom populaire de « saint des miracles » qui n’est pas usurpé, puisque les grâces et guérisons qui lui sont attribuées n’ont jamais cessé, comme l’attestent les recensions qui en sont faites.
Citons, parmi les plus célèbres, ses apparitions, en 1898, à Gemma Galgani, sur le point de mourir de tuberculose, à laquelle il demande si elle accepte de guérir mais de souffrir des années pour les pécheurs ; et, en 1900, la guérison de Maria Mazzarelli, tuberculeuse condamnée par la médecine, qui permet sa béatification.
En savoir plus
Spolète, 22 août 1856, fête du Cœur immaculé de Marie. Chaque année, à cette date, l’on célèbre la Vierge au cours d’une procession dont le clou est la sortie de la sainte icône, très ancienne image de la Madone réputée miraculeuse. Personne ne manquerait cette fête.
Au premier rang se tient un jeune homme de dix-huit ans. Fils du gouverneur de cette cité des États pontificaux, Francesco Possenti est surnommé « le Danseur » en raison de son goût pour les bals et divertissements. Avec son teint de marbre, ses cheveux couleur aile de corbeau, ses yeux « comme des étoiles », c’est le plus beau garçon du pays. Toutes les filles en sont folles. La sainte image arrive à sa hauteur. Francesco, pieux malgré son goût des mondanités, s’agenouille, la contemple avec ferveur.
Soudain, les yeux de la Madone se tournent vers lui : elle le fixe d’un regard à la fois triste et plein d’une tendresse ineffable ; en même temps, il l’entend clairement lui dire : « Francesco, pour toi, c’en est fini du monde. Tu dois entrer en religion et te consacrer à la pénitence. » Il a également la révélation que sa place est chez les Passionnistes, congrégation très sévère vouée à méditer les souffrances de Jésus, et fondée moins d’un siècle plus tôt par Paul de la Croix, béatifié en 1853.
Après quelques semaines, son père, opposé au projet religieux de son fils, cède et le laisse entrer au noviciat des Passionistes, à Morovalle, avec l’espoir que Francesco n’y tiendra pas longtemps et renoncera. Les supérieurs l’avertissent assez vite que la santé du garçon se dégrade, de sorte qu’il vient le chercher. Mais Francesco, qui a déjà pris l’habit et reçu son nom de religion, Gabriele de l’Addolarata (Gabriel de Notre-Dame des sept douleurs – par attachement ancien à la Vierge de Pitié, la Pietà, au pied de la croix, son fils mort dans les bras), répond : « Est-il permis d’abandonner un maître aussi aimable que notre Seigneur Jésus-Christ et une maîtresse aussi tendre que Marie ? »
Le jour de sa profession, en 1859, il demande à mourir jeune, de tuberculose. Il passe les trente mois qui lui restent à vivre au couvent montagnard du Gran Sasso, respectant scrupuleusement la règle de l’ordre, qu’il trouve trop douce, y ajoutant jeûnes et pénitences de son cru, si durs que ses supérieurs, le soupçonnant d’une forme subtile d’orgueil soufflée par le démon, l’obligent à y renoncer.
Sa grande joie est de s’occuper du jardin et d’y cultiver les plus belles fleurs pour orner l’église et fleurir les statues de la Vierge, de sorte que ses frères le surnomment le « jardinier de Notre Dame ». S’il ne s’inflige plus de pénitences insensées, il se mortifie à chaque instant en refusant tout ce qui pourrait satisfaire ses goûts et aspirations personnels. Ses seuls propos sont pour parler de l’Eucharistie, du Ciel, de saint Joseph, de Marie. Il ne s’inquiète plus de rien, disant dans les épreuves et les difficultés : « Dieu y pourvoira ! Vous verrez que Maman y pensera ! »
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
Une fois la maladie fatale déclarée, Gabriele doit faire le sacrifice de son désir le plus cher : devenir prêtre. Ce renoncement, supporté avec une foi hors du commun, explique qu’il soit le patron des séminaristes et novices.
Aller plus loin
Passionnistes, San Gabriele, il santo dei miracoli (en italien).
En complément
Bernard Latzarus, Saint Gabriel, passionniste, Mignard, 1933. Une édition disponible en ligne .
Passionistes, San Gabriele dell’ Addolorata, il santo della misericordia, 2020 (en italien).
Saint Gabriel de l’Addolorata, Scritti.
Sur le site Internet La Porte Latine, l’article « Saint Gabriel de l’Addolorata, modèle et patron de la jeunesse chrétienne ».
L’article d’Aleteia : « Gabriel de l’Addolorata, un (vrai) fêtard devenu saint ».