
Un prodige eucharistique au Carmel
Une nuit de mai 1725, peu après minuit, deux hommes, fraîchement évadés d'un bagne, escaladent une fenêtre de l'église du couvent du carmel d'Alhama (Espagne, Andalousie), près de Grenade.
Alertes et déterminés, ils fracassent les vitraux à leur portée, pénètrent dans l'édifice où ils s'emparent en quelques minutes d'un tapis d'autel en damas brodé d'argent, d'une nappe de communion de grande valeur et de deux lampes d'argent. Ils s'en prennent enfin au tabernacle dont ils forcent l'ouverture, s'emparent du ciboire contenant des hosties consacrées et prennent la fuite. Ils trouvent refuge dans une maison de Grenade.
Au matin, le sacristain du couvent donne l'alerte : on a pillé l'église ! Le prieur fait tendre l'édifice de noir, en signe de deuil, fait sonner les cloches et envoie un frère prévenir les autorités civiles.
Le lendemain, le clergé local organise une procession solennelle : douze enfants suivent pieusement la statue de Notre-Dame du Mont-Carmel, vêtue d'un habit de deuil pour l'occasion.
Le 19 mai, un homme d'allure suspecte attire l'attention de la police. Il est suivi discrètement, et, au soir, il est arrêté en sortant de son logement à Grenade. On fouille les lieux. L'un des policiers trouve une pièce d'argent massif servant à orner le ciboire dérobé, mais rien d'autre.
On s'apprête à quitter les lieux lorsque l'un des hommes présents pose la main sur une pierre d'un mur de la maison. Celle-ci cède, livrant aux regards une cachette qui avait été creusée dans la paroi. Un sac y est trouvé. On l'ouvre et c'est la stupéfaction : des hosties brisées en petits morceaux sont entassées au fond du récipient improvisé. Elles sont rapportées dans l'heure au père franciscain Luc de Navas, qui les expose sur l'autel de son église et va prévenir Mgr Felipe de los Tueros y Huerta, archevêque de Grenade.
Parallèlement, une perquisition est faite chez Andréa Soriano, épouse d'un homme repris de justice, que l'on soupçonne d'avoir pris part au vol. L'entreprise est couronnée de succès : on retrouve chez elle des débris de lampes et du ciboire ainsi que la nappe de communion.
Les auteurs du larcin du carmel viennent d'être identifiés. Apprenant cela, l'archevêque ordonne une procession pour rapporter les hosties profanées au carmel d'Alhama. Le 25 mai, des centaines de fidèles parcourent le trajet d'une quarantaine de kilomètres séparant Grenade du carmel en liesse.
Longeant une colline escarpée, le cortège manque de subir une catastrophe : une énorme pierre se détache du sommet et roule jusqu'à quelques mètres du Saint-Sacrement quand, subitement, sans cause naturelle, elle change de direction, passe par-dessus la tête des premiers rangs des fidèles et va se jeter dans un ravin.
Un autre miracle survient lors de l'entrée dans les murs du carmel d'Alhama : les images de la Vierge Marie qui avaient apportées en procession se « découvrent de leurs couronnes au passage des saintes hosties ».
Le surlendemain, au moment où l'on dépose solennellement les hosties sur l'autel du carmel, une « voix » se fait entendre : « C'est ici le lieu de mon repos, et j'y habiterai par ce que je l'ai choisi. »
L'archevêque de Grenade a fait placer une plaque de marbre dans le logement des voleurs, à l'emplacement où les hosties avaient été cachées. Plus tard, un ermitage est édifié à cet endroit : le « Couvent du Saint-Sacrement ».
Les reliques eucharistiques ont été réparties entre le monastère des clarisses, le carmel et dans une paroisse d'Alhama dont le curé porte chaque année au cou la clé d'or du reliquaire où elles sont conservées. A l'occasion de la fête du Sacré-Cœur, une messe est chantée en mémoire du miracle de 1725.
Jean-Marie Mathiot, Miracles, signes et prodiges eucharistiques, Hauteville, Le Parvis, 2018, p. 217-220.