
Première lecture
Frères, n’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. La Loi dit : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour.
Psaume
L’homme de bien a pitié, il partage.
Heureux qui craint le Seigneur, qui aime entièrement sa volonté ! Sa lignée sera puissante sur la terre ; la race des justes est bénie.
Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres, homme de justice, de tendresse et de pitié. L’homme de bien a pitié, il partage ; il mène ses affaires avec droiture.
Son cœur est confiant, il ne craint pas : À pleines mains, il donne au pauvre ; à jamais se maintiendra sa justice, sa puissance grandira, et sa gloire !
Évangile
Alléluia. Alléluia. Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous : l’Esprit de Dieu repose sur vous. Alléluia.
En ce temps-là, de grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.
Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : “Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever ! ” Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix.
Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »
Méditer avec les carmes
Dans l’évangile que nous lisions hier, Jésus s’adressait à ses compagnons de table, invités comme lui chez un pharisien, et leur proposait la parabole des invités discourtois remplacés au dernier moment par des pauvres. Aujourd’hui Jésus s’adresse aux foules qui font route avec lui vers Jérusalem, et à travers elles il nous laisse trois consignes, les trois renoncements auxquels doivent se préparer tous ceux et toutes celles qui veulent devenir ses disciples :
replacer tous les liens affectifs, quels qu’ils soient, sur l’axe de la réponse au Christ ;
accepter de porter sa croix personnelle, c’est-à-dire le réel de sa vie ;
être prêt à lâcher tout ce qui est de l’ordre de l’avoir.
Chacune de ces consignes se retrouve ailleurs dans l’Évangile de Luc. En revanche, ce qui est tout à fait inédit, ce sont les deux courtes paraboles qui sont enchâssées dans le texte comme pour piquer notre attention :
la parabole de l’homme qui veut bâtir une tour,
et celle du roi qui veut partir en guerre.
Au premier abord ces deux paraboles semblent nous ramener à un bon sens terre à terre :
un promoteur commence à bâtir et ne dépasse pas le sous-sol... Tant pis pour lui ; il n’avait qu’à savoir compter !
un roi belliqueux s’imagine venir à bout d’un ennemi deux fois mieux armé... Tant pis pour lui ; s’il a mal calculé, qu’il se dépêche de faire la paix !
Quand on n’a pas assez, il faut faire avec ce qu’on a : la leçon semble évidente, transparente, voire banale. Mais la phrase qu’ajoute Jésus transforme cette évidence en un programme de réflexion : « De la même façon, quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple ». Notons bien qu’en disant cela Jésus ne s’adresse pas spécialement à des moines et à des religieuses qui auraient fait vœu de pauvreté, mais à tous et à toutes, là où ils vivent dans la cité des hommes.
Avec cette remarque de Jésus, on change de niveau, et le bon sens fait place à la folie des Béatitudes, à l’aventure de la foi. Quand il s’agit de bâtir ou de guerroyer, on n’a jamais assez ; mais quand il s’agit de suivre Jésus, on possède toujours trop, on s’appuie toujours trop sur son avoir, on s’enferme toujours trop dans le désir d’avoir ou d’avoir plus, tant dans les richesses matérielles que dans celles de la culture ou du pouvoir.
La prudence elle-même change de sens quand on ambitionne de servir Jésus ; car un homme est toujours libre de bâtir une tour et de commencer la guerre, et s’il se sent démuni, la prudence lui commandera de ne pas entreprendre. Tandis qu’aimer Dieu de toutes nos forces, devenir disciple de Jésus, ce n’est facultatif ; c’est même la seule urgence de notre vie. C’est pourquoi la prudence consistera souvent à tout sacrifier, pour rejoindre Dieu qui nous aime et pour travailler à son règne ; la réponse sensée sera de lâcher prise, et de tout transférer au compte du Christ ; la véritable richesse sera de rester libre de toute possession et de laisser Dieu nous appauvrir, nous dépouiller même de nos misères.
On dira : « Il faut bien que je vive, que je serve, que j’aide les autres à vivre ! »
C’est vrai, et Dieu le sait ; Dieu le veut. C’est donc en fonction de notre santé, de nos responsabilités et de nos besoins familiaux ou communautaires qu’il nous faut monnayer personnellement, quotidiennement, librement, notre réponse à Dieu. Mais le plus important - et l’Évangile aujourd’hui nous le redit avec force - c’est de pas cesser d’entendre l’appel.