
Le miracle de l’épée dans la pierre (1180)
En 1180, à la suite d’une vision de l’archange saint Michel, Galgano Guidotti, un jeune noble italien, se rend à la colline Montesiepi. Il entend une voix l’appeler à renoncer à son existence mondaine pour vivre pleinement l’Évangile. Sceptique, Galgano rétorque d’abord que cela serait pour lui aussi aisé que de briser un rocher avec son épée. Joignant le geste à la parole, le jeune homme tire son épée du fourreau pour la fracasser contre une pierre située à proximité. Au lieu de se briser, la lame s’enfonce dans le rocher jusqu’à la garde, et y reste solidement plantée, telle une croix.
Les raisons d'y croire
Cet événement provoque la conversion radicale et inattendue de Galgano Guidotti, qui était jusqu’alors brutal et débauché. Il comprend qu’il est appelé à abandonner sa vie de plaisirs et de violences pour choisir résolument le Christ. Renonçant à ses titres et possessions, à la stupeur de ses proches, le jeune noble se retire dans une cabane au sommet de la colline Montesiepi, non loin de l’épée plantée dans la pierre, et mène une vie de saint ermite, jusqu’à sa mort.
Au sommet d’une colline, en Toscane (Italie), la chapelle de Montesiepi conserve encore cette même épée, unique au monde, profondément enfoncée dans le rocher, toujours visible depuis plus de huit siècles.
Cette épée miraculeusement plantée dans le rocher rappelle évidemment la légende d’Excalibur. L’épée bien réelle de saint Galgano a sans doute inspiré le mythe médiéval, puisqu’elle lui est nettement antérieure. En effet, dans le premier texte mentionnant Excalibur, « Caliburn » (Historia Regum Britanniae, écrit vers 1136 par Geoffroy de Monmouth), il n’est pas question d’épée dans la pierre. La première mention littéraire d’une épée plantée dans la pierre est le récit de Robert de Boron, Merlin, écrit dix à trente ans après la mort de Galgano. On ne peut pas prouver que cet auteur connaissait l’histoire de saint Galgano, mais les routes et les échanges culturels en Europe à cette époque rendent plausible une circulation orale ou écrite de l’anecdote entre la France et l’Italie.
Les archives vaticanes témoignent que l’Église catholique a pris très au sérieux l’histoire de Galgano Guidotti. Quatre ans seulement après sa mort, en 1185, le jeune noble fut canonisé par le pape Lucius III, en vertu d’une procédure formalisée exigeant une enquête précise sur la vie du saint présumé, même si sa réputation de sainteté était déjà très grande.
Grâce aux documents officiels de sa canonisation, ainsi qu’à une série de biographies rédigées par des auteurs ultérieurs, l’historicité de l’homme de Dieu est bien plus attestée que celle de beaucoup de personnages considérés aujourd’hui comme historiques. En effet, nombre de témoignages contemporains à la vie du noble évoquent la vie vertueuse qu’il mena après sa conversion. Après la mort du saint, beaucoup témoigneront de grâces obtenues par son intercession.
En 2001, des scientifiques italiens de l’université de Pavie mènent une enquête sur l’authenticité de l’épée plantée dans la pierre, au sommet de la colline Montesiepi. Tout d’abord, l’utilisation d’un radar géologique révèle que l’épée est réellement profondément enfoncée dans le roc et que la partie non visible de la lame a pénétré sans se briser dans la roche, sans pouvoir expliquer comment cela est possible.
Ensuite, la datation au carbone démontre que l’épée est constituée d’un métal qui date en effet du XIIe siècle. Le travail du chimiste Luigi Garlaschelli établit aussi que la composition du métal et la façon dont il a été travaillé sont compatibles avec ce qui se faisait en Toscane à cette époque. Ainsi, l’épée enchâssée dans la pierre n’est pas un faux ; ce n’est pas une réplique moderne.
On raconte également que des loups auraient défendu Galgano en dévorant un voleur qui projetait de s’attaquer à l’ermite pour s’emparer de l’épée. Les mains du truand ont ensuite été exposées dans la chapelle érigée en l’honneur de saint Galgano, afin de servir d’avertissement aux voleurs potentiels. Or, aujourd’hui, dans la chapelle de Montesiepi, on trouve réellement exposées deux mains momifiées. D’après la datation au carbone 14, il a été déterminé que les deux mains datent également effectivement du XIIe siècle.
En plus de ces nombreux indices historiques et scientifiques, qui donnent à penser que l’épée dans la pierre a bien appartenu à saint Galgano, et que sa conversion en est un fruit surnaturel, les voyageurs et pèlerins de l’abbaye témoignent d’année en année des fortes grâces spirituelles reçues en ce lieu.
En savoir plus
Né en 1148 à Chiusdino, un village de la province de Sienne, dans une famille issue de la noblesse régionale, Galgano Guidotti est loin d’être une grenouille de bénitier. Jeune homme mondain et débauché, rompu aux arts de la guerre et plongé dans les plaisirs et les vanités de la haute société libertine, Galgano est réputé pour son arrogance, son égoïsme et sa violence. Pourtant, en 1175, la vie du jeune noble bascule. Sa mère, qui demandait avec ardeur à l’archange saint Michel la conversion de son fils au Christ, est enfin exaucée.
À l’aube de la trentaine, Galgano a une vision de l’archange Michel qui changera sa vie. Ce dernier lui apparaît en songe et lui annonce que Dieu l’appelle à quitter le monde profane et à le servir. Pour cela, il lui faut se rendre au Montesiepi, une colline proche de sa ville natale, Chiusdino. Sans attendre, le jeune homme obéit. À la surprise de ses proches, le jeune homme se met en route à la suite du Christ, encore vêtu de ses riches habits. Au cours du voyage, alors qu’il atteint les pentes de la colline où il doit se rendre, son cheval se cabre soudainement, le projetant violemment à terre. L’archange Michel lui apparaît à nouveau et lui demande de contempler le sommet de la colline. Galgano voit alors Jésus et Marie se tenant dans un temple, entourés des douze apôtres, rassemblés autour d’une table. La présence de Dieu lui-même semble les envelopper. Stupéfait, le jeune homme ressent une force invisiblequi le pousse vers le sommet de la colline Montesiepi. Lorsqu’il atteint celui-ci, la vision s’estompe et une voix s’adresse à nouveau à lui : « Renonce à tout bien et plaisir terrestre. »
Face à cette demande radicale, Galgano est sceptique. Il rétorque que suivre un tel ordre serait pour lui aussi aisé que de fendre un rocher avec son épée. Joignant le geste à la parole, le jeune homme tire son épée du fourreau et l’élève pour la fracasser contre une pierre. Cependant, au lieu de se briser, la lame s’enfonce dans le rocher avec la facilité d’un couteau dans du beurre, jusqu’à la garde, et y reste solidement plantée, ne laissant dépasser que le manche. En contemplant la poignée et la garde de l’épée, prisonnières de la pierre, qui forment le signe de la croix, Galgano comprend qu’il est appelé à abandonner sa vie de plaisirs et de violences pour choisir résolument le Christ. Tombant à genoux, le jeune homme rend littéralement les armes à Dieu, puis se retire dans une grotte, au sommet de la colline de Montesiepi, et construit une cabane à côté de l’épée plantée dans la pierre. Cet homme, qui jusque-là s’adonnait aux plaisirs terrestres, abandonne titres et possessions, et se retire dans la campagne siennoise pour une vie entièrement consacrée à la contemplation de Dieu. C’est là qu’il vit en saint ermite, jusqu’à sa mort, un an plus tard, le 3 décembre 1181, à l’âge de trente-trois ans.
Peu de temps après la mort de l’ermite, l’Église ordonne la construction d’une chapelle ronde, comme dans la vision de Galgano, autour de l’épée enfoncée dans la pierre, au sommet de la colline Montesiepi. Cette chapelle, dédiée à la mémoire de l’ermite Galgano, devient un lieu de pèlerinage, où voyageurs, pèlerins et curieux affluent en masse afin de découvrir cette épée emprisonnée dans la pierre. Une belle histoire, qui pourrait sembler tenir davantage du récit hagiographique ou mythologique que du fait historique... D’ailleurs, il est frappant de remarquer les similitudes entre l’histoire de l’épée de saint Galgano et l’épée légendaire du roi Arthur, Excalibur. D’après le médiéviste italien Mario Moiraghi, il est très plausible que l’histoire de l’« épée dans le rocher » de Galgano ait inspiré la légende du roi Arthur, qui vit le jour vers 1200.
Pour autant, l’histoire de l’épée dans la pierre de Galgano ne peut pas être considérée comme une simple légende médiévale ! Quatre ans seulement après sa mort, en 1185, Galgano est canonisé par le pape Lucius III. Or, il s’agit d’une des premières canonisations effectuées par l’Église catholique en suivant une procédure très formaliséeexigeant une enquête précise sur la vie du saint présumé. Un cardinal se rend donc à Chiusdino, interroge la mère de Galgano, des personnes qui l’ont connu, ainsi que des gens qui témoignent de miracles advenus après avoir demandé à Galgano de prier pour eux. Tous ces témoignages sont aujourd’hui conservés dans les archives du Vatican. Grâce aux documents collationnés pour sa canonisation et à une série de biographies rédigées ultérieurement, de nombreux détails de la vie de saint Galgano nous ont été transmis. Dès lors, l’historicité de l’homme de Dieu est dûment attestée.
Lors des analysesapprofondies menées en 2001, un géoradar fut notamment utilisé. Cela permit aux chercheurs de découvrir sous la pierre abritant l’épée une cavité assez grande pour être un tombeau, accueillant peut-être la dépouille de saint Galgano. « L’analyse radar à pénétration de sol a révélé que sous l’épée se trouve une cavité, de deux mètres sur un mètre, que l’on pense être un renfoncement funéraire, contenant peut-être le corps du chevalier »,a déclaré Garlaschelli.
« La légende raconte aussi que quiconque essayait de retirer l’épée se faisait arracher les bras. Après sa mort, beaucoup essayèrent de voler l’épée de saint Galgano. » Jusqu’au XXe siècle, ils sont en effet nombreux à avoir tenté de retirer l’arme médiévale de son rocher, abîmant l’épée sans la déloger. C’est pourquoi, dans les années 1960, du plomb fondu fut versé dans la fissure afin de décourager toute tentative de vol. De nos jours, pour des raisons de sécurité, l’arme est de plus conservée sous une châsse de Plexiglas.
Ainsi, en Toscane, près de l’abbaye de San Galgano, dans la chapelle de Montesiepi, nous pouvons observer, encore aujourd’hui, cette épée unique au monde, plantée dans la roche. Tout porte à croire qu’elle a bien appartenu au saint ermite Galgano Guidotti. Qu’elle soit convaincue ou sceptique, toute personne désireuse de percer le mystère de l’épée de saint Galgano est invitée à mener sa propre enquête. Comme le disait Jésus-Christ, il y a 2 000 ans : « Venez et voyez ! » ( Jn 1,39 ).
Thomas Belleil, auteur de livres de spiritualité, diplômé en sciences religieuses à l’École Pratique des Hautes Études et en théologie au Collège des Bernardins.
Au delà
Dans son dernier livre, Comment retrouver le goût de Dieu dans un monde qui l’a chassé, le journaliste et écrivain Rod Dreher raconte le rôle déterminant qu’a eu l’épée de saint Galgano dans son cheminement spirituel et les circonstances extraordinaires qui ont mené ses pas à la chapelle de Montesiepi. De façon décomplexée, il témoigne avoir été remis en mouvement par saint Galgano, alors qu’il se trouvait en pleine crise humaine et spirituelle. S’il n’avait pas croisé la route de saint Galgano, « vous n’auriez pas entre les mains le livre que vous venez de lire », témoigne Rod Dreher. « En effet, l’image de la tentation de saint Galgano est un symbole condensé du message qu’il porte. C’est le portrait d’un homme au caractère bien trempé qui, après avoir refusé l’appel de Dieu, s’est rendu au sommet d’une montagne et a vu Dieu. En réponse à cette révélation, qui comprenait un véritable miracle (que l’on peut encore voir aujourd’hui), il a sacrifié sa vie pour le Christ » (Comment retrouver le goût de Dieu dans un monde qui l’a chassé, p. 275).
Aller plus loin
Rod Dreher, Comment retrouver le goût de Dieu dans un monde qui l’a chassé, Artège, 2025.
En complément
Luigi Garlaschelli et Maurizio Cali, La Spada nella Roccia. San Galgano e Montesiepi, 2020, Atti Del Convegno.
Mario Moiraghi, L’enigma di San Galgano, Ancora, 2005 (en italien).
L’article académique d’Antoni Romuald Chodynski : « The 12th Century Sword of San Galgano in the Hermitage of Montesiepi in Tuscany. A Transmission of the Arthurian Legend », disponible dans Fasciculi Archaeologiae Historicae, vol. 27 (2014).
L’article du Guardian : « Tuscany’s Excalibur is the real thing, say scientists », qui rapporte les résultats des recherches scientifiques confirmant l’authenticité de l’épée de Saint Galgano.
L’article d’Aleteia : « Galgano, l’incroyable histoire d’une Excalibur et d’une conversion ».
L’article de AD Magazine : « L’abbaye de San Galgano et le mythe de l’épée dans le rocher ».