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Les saints
Espagne et France
Nº 606
1350 – 1419

Saint Vincent Ferrier, mirificus praedicator (+1419)

Né en 1350 près de Valence (actuelle Espagne), Vincent Ferrier entre chez les Frères prêcheurs, ordre fondé par saint Dominique deux siècles plus tôt. Il vit en des temps marqués par la guerre, la maladie, le schisme et l’hérésie. Il parcourt les routes d’Europe pendant plus de trente années, en prêchant sans relâche la paix, l’unité et la pénitence, montrant à tous que la Passion du Christ ainsi que les mérites de la Vierge et des saints sont des lumières vers lesquelles il faut tourner le regard et modeler ses actes quotidiens. Ce prédicateur, prophète et faiseur de miracles meurt le 5 avril 1419, à Vannes. Le pape Pie II le présente à tous comme modèle de sainteté en 1458.


Les raisons d'y croire

  • Comme pour son maître, saint Dominique, plusieurs signes surnaturels annoncent la naissance de Vincent Ferrier. Ces prodiges accompagneront toute sa vie. Les enquêtes du procès de canonisation en relatent un nombre considérable, dont le caractère spectaculaire et la variété déconcertent l’historien soucieux de respecter les exigences de la critique propre à sa matière. La raison naturelle laissée à ses seules lumières ne peut en rendre compte. Aussi est-ce une tentation de les rejeter comme apocryphes : solution rapide et aisée mais qui n’est pas objective, et par conséquent non plus scientifique.

  • En effet, cette attitude implique d’une part de nier les témoignages innombrables, confrontés les uns aux autres pour les vérifier, qui ont été consignés lors des enquêtes – témoignages dont la lucidité, le bon sens et la bonne foi des auteurs ont été éprouvés. Agir ainsi s’apparente à du révisionnisme historique.

  • D’autre part, le présupposé sous-jacent à ce comportement est d’exclure l’existence du surnaturel. « Pour vouloir éviter ou estomper à outrance le surnaturel, on tombera dans des difficultés et des inconséquences plus fortes que les faits de surnature », écrivait Pierre-Henri Fages, dominicain et auteur de la première biographie scientifique de Vincent Ferrier (Préface, p. X). Aussi, la position raisonnable est-elle, en face de faits indubitables, mais qui ne peuvent pour autant être expliqués par les lois naturelles, de postuler l’intervention d’un agent supérieur à la nature : c’est cette intervention qu’on appelle couramment le « miracle ».

  • Ainsi, plusieurs miracles arrivés avant la naissance de Vincent, comme pour annoncer le rôle que Dieu entendait lui faire jouer ici-bas, sont-ils rapportés par le procès de canonisation. Citons-en un. Une pauvre femme, aveugle, à qui Constance Ferrier, encore enceinte, faisait un jour l’aumône, lui demande la permission de poser la tête contre son sein. Comme elle recouvre aussitôt la vue par ce contact, elle s’écrie émerveillée que l’enfant attendu est un ange venu du Ciel.

  • Il tombe malade au point de penser mourir. Ce sont saint Dominique et saint François, écrit-il en 1412, qui lui rendent subitement et de manière inespérée la santé, afin de reprendre sa mission d’aller prêcher par le monde. Vaine guérison, serait-on amené à penser, puisque le pape avignonnais lui confie alors divers apostolats et missions diplomatiques en Catalogne. Mais, le 22 novembre 1399, Benoît XIII lui confère les pouvoirs attachés au titre de légat a latere Christi : il peut désormais parcourir l’Europe pour y prêcher et absoudre en tant qu’envoyé du pape.

  • C’est ainsi qu’à quarante-neuf ans, saint Vincent devient, selon le mot de Marie-Thérèse Lemoign-Klipffel, une « sorte de juif errant de la prédication ». La lettre adressée le 17 décembre 1403 au maître général des dominicains, Jean de Puynoix, ainsi que les témoignages laissés dans les villes qu’il traverse, permet de retracer son itinéraire, digne d’un athlète, et pas n’importe lequel : un athlète éminent qui lutte pour annoncer l’Évangile du Christ, la couronne impérissable (cf. I Cor 9,24-27 ).

  • Qu’on en juge : le pays d’Avignon, en 1399, puis le Dauphiné. La Lombardie, le pays de Genève et la Suisse, enfin le Piémont. En 1404, le pays lyonnais, puis de nouveau la Suisse, à Fribourg, et la Savoie. De retour dans le sud de la France l’année suivante, Vincent gagne le nord de l’Italie, puis les Flandres et la Belgique. De 1406 à 1415, il parcourt toute l’Espagne. En 1416, c’est le Languedoc, à Toulouse, puis le duché de Bourgogne en 1417. De là, il est probable – les documents font défaut – qu’il se rend en Lorraine. Nevers, Tours, Angers l’entendent avant qu’il ne parvienne à Nantes, puis à Vannes, où se tient la cour du duc de Bretagne. À Caen, il rencontre le roi d’Angleterre. Ce périple extraordinaire de vingt années, accompli pour l’amour de Dieu et le salut des âmes, s’achève à Vannes le 5 avril 1419.

  • Les foules qui accourent pour entendre ses sermons s’en retournent converties. Pourquoi un tel succès apostolique ? D’abord en raison du don des langues : qu’il prêche en latin ou en catalan, il est compris de tous, et ses sermons durent deux ou trois heures.

  • De plus, il possède l’art consommé d’exposer des vérités profondes de la foi, qu’il puise à sa connaissance de la doctrine thomiste, en les adaptant en un langage accessible à tous sans en édulcorer le contenu. Il explique ainsi la passion du Christ et les fins dernières ; il vitupère les mœurs de ses contemporains, utilisant un ton simple, voire parfois trivial ; il vante les mérites et l’exemple des saints. Aussi les peuples l’accueillent-ils en triomphe.

  • Les très nombreux miracles qu’il réalise partout où il prêche authentifient la vérité de sa prédication. Les enquêtes en vue de la canonisation en ont reconnu 873 de manière certaine. De nombreux autres sont très probables, mais les éléments ne sont pas suffisants pour les tenir pour tels. Citons simplement vingt-huit résurrections réalisées de son vivant grâce à sa prière. Les témoignages de première main et l’abondance des sources, très différentes quant à leurs origines géographiques, qui fournissent des renseignements précis et concordants, sont clairement exposés dans le procès de canonisation.

  • Le culte que le peuple chrétien rend sans interruption aux reliques de saint Vincent depuis le jour de sa mort prouve à lui seul le rayonnement de sa sainteté.


En savoir plus

C’est à Valence, dans le royaume d’Aragon, que naît en 1350 Vincent, de Guillaume Ferrier et de Constance Miquel. Son père a hérité de la charge notariale que la famille détient depuis un siècle environ.

Les prodiges qui semblaient avoir annoncé sa venue – leur nombre dément une simple coïncidence : comment ne pas y voir des signes précurseurs de la sainteté future de l’enfant ? – incitent les consuls (c’est-à-dire l’assemblée qui dirige la ville) à se réunir pour désigner eux-mêmes les parrains du fils de Guillaume Ferrier. Ils veulent par cette marque de sollicitude témoigner leur fierté que Valence soit la mère d’un tel fils. Remarquons que cette intervention étonnante des principaux personnages de la cité ne peut s’expliquer que par leur foi dans les phénomènes surnaturels arrivés auparavant. Trois membres éminents du Conseil de la cité sont désignés comme parrains, et l’on propose à dona Raymonde d’Encarroz y Villaragut d’être la marraine. Lors de la cérémonie qui se tient dans l’église Saint-Étienne, non loin de la cathédrale, aucun des magistrats ne consent à abandonner l’honneur de choisir le prénom. « Dieu parle par son Église, tranche le prêtre qui officie : que l’enfant porte le nom de l’illustre saint que nous célébrons en ce jour. » Nous sommes le vingt-trois janvier : il s’agit du diacre espagnol qui fut martyrisé.

Vincent mène une enfancepieuse, comme en témoigne un chartreux de la Porta Cœli : « J’ai entendu dire que Maître Vincent dans son enfance était d’un bon naturel, dévot et tendant à la pénitence, au point que presque tous s’étonnaient de la conversation honnête qui apparaissait en lui, étant donné son jeune âge. » Tonsuré à l’âge de sept ans, il reçoit comme tout clerc de son époque une instruction et une éducation soignées, mais son intelligence perspicace et sa grande mémoire lui font tirer plus d’avantages que ses condisciples des cours dispensés au long du cycle scolaire : le trivium (grammaire, rhétorique et dialectique), puis le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique et dialectique). À onze ans, son père le fait pourvoir d’un bénéfice, attaché à la chapelle Sainte-Anne, située dans l’église Saint-Thomas de Valence. La bonne volonté et l’application fructueuse de Vincent le préparent à la voie ecclésiastique, à laquelle il semble destiné avant même sa naissance et que lui facilite son père.

Le 2 février 1367, c’est un jeune homme accompli qui frappe à la porte du couvent Saint-Dominique de Valence, fondé par le roi Jacques Ier. Le 5 février, Vincent reçoit l’habit de « la religion de Marie », comme on appelait alors l’ordre des Dominicains. Le maître des novices, le père Thomas Carnicer, qui l’initie aux usages de la vie dominicaine, lui apprend l’amour de la pénitence. Vincent la pratiquera toute sa vie et ne cessera d’en prêcher la nécessaire pratique. Le Traité de la vie spirituelle en est un témoignage. Après ses vœux solennels, prononcés le 6 février 1368 et par lesquels il s’engage à servir Dieu en son état jusqu’à sa mort, commencent les années de la formation intellectuelle. Pendant quatre ans, il étudie la logique au couvent de Barcelone, puis l’enseigne au couvent de Lérida – deux traités qu’il y rédige prouvent la maîtrise à laquelle il parvient dans cette matière. La forma mentis qu’il acquiert ainsi donne à ses sermons une clarté d’exposition dans le raisonnement qui en rend la lecture aisée et convaincante. C’est à Barcelone que Vincent suit ses études théologiques. Il y découvre une méthode d’explication de la Sainte Écriture qui tient compte du milieu historique dans lequel ont été rédigés les livres inspirés. C’est auprès de savants professeurs d’exégèse qu’il apprend l’hébreu : il pourra par la suite échanger sur un pied d’égalité avec les rabbins espagnols lors de controverses doctrinales. Enfin, le supérieur provincial l’envoie en 1376 compléter ses connaissances en théologie à l’université de Toulouse, tenue par les Frères prêcheurs. De retour à Valence, Vincent est ordonné prêtre en 1378 par le cardinal Pedro de Luna, qui le fait nommer lecteur en théologie à l’école cathédrale de Valence. Là, pendant six années, il commente les épîtres de saint Paul. Son enseignement est suivi et si remarqué que l’université de Lérida lui décerne en 1388 le rare titre de « Maître en théologie ». Vincent, fidèle à sa vocation de fils de saint Dominique, transmet à autrui le fruit de sa propre contemplation, selon le beau mot de saint Thomas d’Aquin.

Le grand schisme éclate en 1378. Cette douloureuse période, pendant laquelle l’Église est déchirée en deux, puis en trois partis, dont chacun reconnaît un pape différent, ne s’achève qu’en 1417. Des cardinaux maltraités par Urbain VI élisent Clément VII, qui s’établit en Avignon. Saint Vincent soutient ce dernier par son Traité du schisme moderne,mais aussi par des démarches politiques en accompagnant en 1381 le cardinal Pedro de Luna auprès des cours d’Aragon, de Navarre, de Castille et du Portugal. En cela, c’est l’unité de l’Église qu’il poursuit et non des avantages que pourrait lui procurer son champion. Saint Vincent est ensuite le conseiller du pape Benoît XIII (le cardinal Pedro de Luna, qui était son protecteur). Ce dernier, élu en 1394, appelle de nouveau Vincent à son service et lui confie les offices de confesseur du pape, de pénitencier apostolique, de chapelain domestique et de Maître du Sacré Palais. Le rôle que Vincent est appelé à jouer durant le pontificat est donc considérable. Mais, lorsque le roi de France Charles VI retire en 1398 son obédience à Benoît XIII – ce qui rend alors la position du pontife intenable, vu le nombre et la puissance des soutiens apportés au pape romain –, Vincent comprend que le pape avignonnais recherche plus ses intérêts personnels que le bien de l’Église. Il quitte en septembre le palais pontifical pour se réfugier dans le couvent des dominicains d’Avignon. C’est toujours au service de l’Église qu’il veut se tenir, et non à celui d’une faction.

Des prédications itinérantes à travers l’Espagne occupent Vincent pendant les années 1380 à 1392. Il découvre que chrétiens, maures et juifs vivent ensemble – bien que les musulmans résident surtout dans le royaume de Grenade. L’influence culturelle et religieuse des juifs sur la société espagnole va croissant grâce aux charges municipales qu’ils achètent. On leur reproche aussi l’usure. Parce que les rois de Castille et d’Aragon ferment les yeux, le peuple chrétien réagit violemment. En Aragon et en Castille naît en 1391 une vague de pogroms. Saint Vincent Ferrier condamne fermement ces actes et prend résolument la défense des juifs. Ses sermons en témoignent. Son empathie à leur égard, due en partie à sa connaissance de l’hébreu et de la Torah, et la bienveillance qu’il leur témoigne conduisent un très grand nombre d’entre eux, y compris des rabbins, à se convertir au Christ.

Les compétences d’ordre pratique que les confrères de saint Vincent lui reconnaissent le mènent à la charge de prieur du couvent de Valence. Il n’est pourtant alors prêtre que depuis un an. On le sollicite pour régler des différends, et la renommée que lui valent les dénouements apaisés qu’il propose parvient jusqu’au roi Jean Ier d’Aragon. Ce dernier prend Vincent pour conseiller et devient même son ami. Son épouse, la reine Yolande, le choisit comme confesseur, charge dont saint Vincent s’acquitte entre 1392 et 1394. Après la mort de Jean Ier, Vincent continuera auprès de son fils, don Martin, le rôle qu’il a tenu auprès du père. Il correspondait avec le prince depuis 1386. Vincent n’est pas un courtisan qui accède aux désirs des princes par bêtise, par couardise ou par intérêt. Il ne craint pas de l’avertir qu’il a hérité de son père Jean Ier des biens confisqués aux chanoines de Tarragone. Aussi exhorte-t-il le nouveau roi : « Votre Altesse sait comment son père est mort, cité au tribunal de Dieu par les chanoines de Tarragone, pour avoir mis les mains sur le patrimoine de cette église, et comment son fils, votre frère, pour ne pas avoir réparé cette faute, est mort aussi tristement pendant une chasse. Que Votre Altesse se hâte donc de réparer et de payer les dettes de son père et de son frère. Si elle ne le fait pas, qu’elle s’attende à être châtiée comme eux» Don Martin se range à l’avis du saint et restitue leurs biens aux propriétaires. Quand se pose la question de la succession de don Martin, en 1410, mort sans descendant, c’est encore le raisonnement de Vincent qui est accepté par tous.

Quand saint Vincent, épuisé par les vingt années de longues et incessantes courses apostoliques qui forment la trame de sa vie à partir de 1399, meurt à Vannes le 5 avril, son corps est précieusement conservé. On le dépose dans la cathédrale auprès du maître-autel. Quatre tribunaux sont constitués par les autorités ecclésiastiques pour interroger les témoins qui l’ont fréquenté : trois en France (Avignon, Toulouse et Vannes) et un à Naples. Les conclusions de ces enquêtes amènent le pape Calixte III à déclarer Vincent bienheureux le 3 juin 1455. La bulle de canonisation est signée par son successeur, Pie II, le 12 octobre 1458.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Aller plus loin

Henri Ghéon, Saint Vincent Ferrier, Flammarion, coll. « Les grands cœurs », 1939. Réédition aux éditions Dominique Martin Morin sous le titre Saint Vincent Ferrier, l’apôtre des temps difficiles, 2019.


En complément

  • Saint Vincent Ferrier, Traité de la vie spirituelle, éditions Dominique Martin Morin, 1993.

  • Saint Vincent Ferrier, Sermons, traduits du catalan par Patrick Gifreu, Perpignan, Éditions de la Merci, 2010.

  • Saint Vincent Ferrier, Sermon sur la Passion, traduits de l’occitan par Patrick Gifreu, Perpignan, Éditions de la Merci, 2016.

  • Pierre-Henri Fages, Histoire de saint Vincent Ferrier, apôtre de l’Europe, Paris, La Bonne Presse, 1901, tomes I (354-CXLII p.) et II (450-CI p.)

  • Philippe Niederlender, « Éléments de réflexion sur les miracles chez saint Vincent Ferrier », dans Saint Vincent Ferrier. Actes du colloque de Vannes, 5-6 mai 2006, Vannes, Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, 2017, ici p. 79-87.

  • Le numéro 148 (juin 2019) de la revue Sedes sapientiæ est consacré à la figure de saint Vincent Ferrier. Plusieurs articles le présentent ; quatre de ses sermons traduits en français et une bibliographie complètent l’opuscule.

  • Un diaporama de Michelle Fournié présente de nombreuses illustrations et des cartes relatives à la vie de saint Vincent Ferrier.

  • La notice biographique disponible sur le site Internet du Collège des Bernardins : «  Saint Vincent Rerrier : prophète, prédicateur et faiseur de miracles  ».

  • L’émission « Les Belles figures de l’Histoire » du 25 mai 2024 : «  Vincent Ferrier, un saint pour temps de crise  ».

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