
La « légende » des saints n’est pas un mythe
Jésus marchant sur les eaux, saint Denis portant sa tête à Paris, saint Antoine de Padoue prêchant à des poissons qui l’écoutent attentivement… Il est de bon ton aujourd’hui de sourire à l’évocation de tel ou tel miracle de la vie des saints. Pourtant, le sens originel du mot « légende », beaucoup plus riche qu’il n’y paraît, et l’histoire du culte des saints nous font comprendre que la « légende » d’un saint est ce qu’il y a de plus certain.
Les raisons d'y croire
Le mot « légende » vient du latin legere, lire, dont la forme verbale legenda (adjectif verbal) signifie exactement : « ce qui doit être lu ». La légende d’un saint est donc ce qui doit être lu, chaque année, le jour de la fête du saint, pour garder en mémoire l’essentiel de sa vie. On comprend alors que le même mot désigne deux sens exactement contradictoires. Cela s’appelle une œuvre de subversion : le mot est conservé, mais le sens est inversé.
Les légendes des saints sont considérées véritables depuis toujours par tous les saints et tous les papes. Saint Ignace de Loyola s’est converti en lisant LaLégende dorée, écrit par le bienheureux Jacques de Voragine, archevêque de Gênes, au XIIIe siècle.
Si ces légendes s’étaient révélées fausses, cela signifierait que toute la chrétienté a été trompée pendant des siècles. Or, pendant tout ce temps, il n’y a eu aucune contestation connue des historiens. Historiquement, les premiers à avoir contesté les miracles et les légendes des saints sont les protestants, au XVIe siècle : c’est très tardif. Les miracles des saints sont contestés dans un contexte de rivalité, pour ne pas accréditer la vérité de la doctrine de l’Église catholique.
Les historiens modernes analysent l’histoire avec leur seule raison, faillible et limitée, pour juger des faits qui dépassent la compréhension humaine. Même lorsqu’un document d’époque leur est présenté, après avoir miraculeusement échappé aux ravages de l’histoire, et qu’il rend compte d’un prodige, leur incrédulité reste entière, et ils pensent qu’il y a eu « interpolation », c’est-à-dire que le fait aurait été rajouté après-coup, pour faire croire au miracle. Tel est l’esprit moderne. Pourtant, n’importe quel expert serait bien en peine de prouver qu’un de ces miracles est historiquement faux.
Jusqu’à présent, rien ne permet de démontrer qu’un miracle cru pendant des siècles serait en fait une « pieuse invention du Moyen Âge ». Aucun élément historique formel ne montre que tel miracle a été inventé par ce moine-copiste, dans tel monastère, à telle époque, sous l’autorité de tel abbé…
De plus, beaucoup de vies de saints ont été écrites par d’autres saints. Par exemple, la vie de saint Éloi a été rédigée par saint Ouen, son ami, et il s’agit d’un des documents du VIIe siècle les mieux attestés. Ces récits de vie sont toujours contrôlés par l’autorité ecclésiastique, en communion avec le pape. C’est donc toute l’autorité de l’Église qui s’est impliquée pendant des siècles pour certifier la réalité historique de ces légendes. Des conciles et des papes se sont prononcés explicitement pour authentifier l’historicité des saints.
Raisonnons par l’absurde. Si saint Denis par exemple, n’avait jamais porté sa tête après sa décapitation, depuis Montmartre jusqu’à Saint-Denis, comment expliquer que ses reliques aient été gardées à cet endroit depuis deux mille ans ? Comment expliquer que, déjà, sainte Geneviève s’y rendait en pèlerinage ? Et que tous nos rois voulurent y reposer ? C’est toute l’histoire qui devient absurde…
En savoir plus
Du premier au XVIIe siècle, les légendes ont été le moyen par lequel tout le clergé eut connaissance de la vie des saints, pour la transmettre ensuite au peuple. Ce fut l’admirable moyen par lequel tout un peuple se retrouvait en communion de pensée et d’admiration pour célébrer et prier ses saints. D’innombrables œuvres artistiques témoignent de la fécondité de cette tradition.
Hélas, l’ivraie fut semée dans cette bonne terre que fut la chrétienté lorsque le doute s’immisça subrepticement dans les esprits, faisant le siège de la raison sous prétexte de science. Luther, le premier, se mit à contester systématiquement tout ce qui allait contre les principes de la réforme dont il rêvait. Pour rejeter le culte des saints, il lui fallait montrer que les miracles des saints avaient été inventés, forgés a posteriori par les moines du Moyen Âge. Si les violences des huguenots contre les statues et les reliques sont connues, on connaît moins la destruction des « authentiques », ces documents ecclésiastiques qui accompagnent toujours les reliques pour garantir leurauthenticité. La suite de cette œuvre de destruction fut intellectuelle, introduisant le doute dans les esprits.
Au XVIIe siècle, Jean de Launoy († 1678) participa à instiller ce doute. On l’appelle le « dénicheur des saints », et l’on raconte que les curés de Paris changeaient de trottoir en le croisant, craignant qu’il s’en prenne au saint patron de leur paroisse. Car, une fois acceptée l’idée que la vie d’un saint est une fable, la désaffection des paroissiens est la conséquence logique. Ses écrits ont été condamnés par Rome, mais le mal était fait.
Au XVIIIe siècle, bon nombre de catholiques, attirés par l’esprit des « Lumières », emboîtèrent le pas à ce mouvement. La Révolution reprit l’œuvre de destruction massive de toutes les preuves de la vie des saints, notamment des « authentiques » et des reliques. On estime que 95 % des reliques des saints de France ont alors été perdues.
Les historiens critiques du XIXe siècle ont eu beau jeu de dire que, les documents n’existant pas, il fallait remettre en cause la réalité de la vie des saints, légendes trop belles pour être vraies. Il faut répondre que les documents existaient, avant leur destruction, et qu’une absence de document n’équivaut en aucun cas à une absence de fait !
C’est au cours de ce même siècle que la Provence retrouva la tradition de sainte Marie-Madeleine, grâce à l’abbé Faillon, qui lança un immense mouvement de retour aux traditions. Progressivement, des ecclésiastiques érudits dans tous les diocèses s’attelèrent à démontrer la vérité des légendes des saints. Mgr Darboy, archevêque de Paris, défenditle vrai saint Denis, l’abbé Arbellot réhabilita l’apostolicité de saint Martial de Limoges, le chanoine Cahour rétablit saint Clair de Nantes. Et ainsi de suite. Une quarantaine de traditions similaires furent alors retrouvées dans tous les diocèses de France, documents historiques, preuves archéologiques et liturgiques à l’appui. Impulsion formidable qui enthousiasma dom Guéranger, le père Chevalier, Mgr de Belzunce, ainsi que les papes Pie IX, Léon XIII et saint Pie X !
Les histoires des saints sont vraies et l’Évangile l’est aussi. Les saints ont vraiment existé, sur notre terre qu’ils ont foulée, avec des prodiges semblables à ceux de Jésus-Christ, lequel nous a avertis que ses disciples feraient des œuvres plus grandes encore que les siennes ! ( Jn 14,12 )
Arnaud Boüan du Chef du Bos, fondateur de la maison d’édition des Trésors de nos Pères , pour retrouver, défendre et diffuser la véritable histoire sainte de France.
Aller plus loin
Dom Guéranger, Le Sens chrétien de l’Histoire, 1858. Plusieurs éditions disponibles.
En complément
Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, 1879. Il s’agit de quatorze volumes sur la vie des saints.
Bref du pape Léon XIII sur les études historiques : Saepenumero considerantes. Disponible sur le site Internet du Vatican en italien et en latin.
Mgr Gaume, L’Évangélisation apostolique du globe, 1879.
Abbé Maistre, Histoire des soixante-douze disciples, 1868.
La carte des saints saurochtones et céphalophores de France.