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Les martyrs
Cordoue (Espagne)
Nº 433
850-859

La révolte pacifique des catholiques de Cordoue (850)

Il y a foule ce 16 septembre 852 devant la mosquée de Cordoue, à la sortie de la grande prière du vendredi. Soudain, deux hommes – l’un, « moine déjà âgé », l’autre « encore jeune » – se mettent à proclamer haut et fort la divinité du Christ et la vérité de la foi chrétienne. Depuis deux ans, de telles scènes sont devenues presque ordinaires dans la ville – réponse héroïque et systématiquement mortelle des chrétiens d’Al-Andalous aux mesures persécutrices de l’émir Abd al-Rahman II, qui veut obliger les dhimmis à se convertir à l’islam. Aussitôt arrêtés, Roger et Abdallah vont ajouter leurs noms à la liste de ceux qui préfèrent le martyre à l’abjuration. On leur tranche les mains, les jambes, puis, avant que l’hémorragie les tue, la tête. Jusqu’à leur dernier souffle, ils proclament leur joie d’avoir été trouvés dignes de mourir pour le Christ.


Les raisons d'y croire

  • Nous possédons sur les martyrs de Cordoue un document de première main, véritable chronique des événements tenue par l’évêque métropolite de la ville, Euloge, à l’origine du mouvement de résistance et qui sera lui-même, en 859, la dernière victime de cette vague de persécutions.

  • Cet épisode contredit le mythe politiquement correct d’un admirable royaume musulman d’Al-Andalous, où les diverses communautés juives, chrétiennes et musulmanes auraient cohabité dans un « vivre ensemble » exemplaire et une tolérance mutuelle jamais altérée. C’est pourquoi le martyre des catholiques de Cordoue est souvent occulté ou, quand il est évoqué, il convient de présenter l’évêque Euloge et ses fidèles comme des fanatiques extrémistes décidés à ébranler par leurs provocations la paix civile. Cette analyse relativiste oublie que ce sont les mesures de l’émir, coercitives et injustes, qui ont d’abord poussé les chrétiens à mettre en place une résistance non violente qui est pleinement légitime.

  • En effet, tout a commencé avec la mise à mort en 850 d’un prêtre de Cordoue, Perfectus (saint Parfait), lynché pour un blasphème présumé au cours d’une conversation avec des musulmans venus lui demander de leur parler du Christ (ce qui ressemble à un piège) et accusé ensuite d’avoir mis en doute l’enseignement de Mahomet en proclamant la divinité de Jésus.

  • Que la résistance se soit poursuivie de 850 à 859 – alors que ces hommes et femmes, de tous âges et conditions, laïcs, prêtres, moines, moniales, chrétiens de souche ou convertis de l’islam, savaient qu’ils se condamnaient à mourir dans les supplices – exige un courage et une détermination exceptionnels qui ne peuvent venir que de Dieu.

  • Dès 852, à la demande des autorités musulmanes d’Espagne, certains évêques assimilent l’attitude de ces martyrs au suicide, qui est condamné par l’Église et passible de damnation. Cela aurait dû effrayer les volontaires. Qu’il n’en ait rien été prouve que, à l’instar de certains martyrs de l’Antiquité romaine qui avaient pareillement défié les autorités païennes en confessant le Christ, ils ont agi sous l’inspiration du Saint-Esprit.

  • Autre point admirable : jamais cette chrétienté persécutée ne va envisager de recourir à la violence et de se défendre par les armes en provoquant séditions et soulèvements. Son seul crime est de confesser publiquement la foi chrétienne et de reprocher aux autorités de chercher à l’éradiquer. Ainsi ces gens se conforment-ils à la loi de l’Évangile.

  • Les enfants nés d’unions mixtes sont retirés à leurs parents pour s’assurer qu’ils seront élevés dans l’islam. Contre toute attente, de nombreuses personnes issues de telles unions, surtout des jeunes filles, musulmanes de fait, vont soudain sentir se réveiller leurs racines chrétiennes et se proclamer catholiques en public, subissant elles aussi le martyre. C’est le cas des saintes Colombe, Laura, Flora et Marie de Cordoue.


En savoir plus

Les catholiques de Cordoue endurent de nombreuses violences depuis le début du IXe siècle. En 818, les musulmans ont déclenché des émeutes antichrétiennes qui ont détruit presque toutes les églises de la ville. Les autorités, qui s’étaient engagées à les restaurer à leurs frais, ont non seulement refusé d’exécuter et de financer les travaux de reconstruction, mais aussi empêché les chrétiens de les faire.

En 850, un prêtre cordouan, Perfectus, est attiré dans un piège par des musulmans qui se sont présentés à lui dans la rue comme des « hommes de bonne volonté curieux de connaître l’enseignement de Jésus ». Ayant proclamé la foi chrétienne, il est aussitôt accusé de blasphème contre l’islam et massacré. Cet acte souligne la détérioration de la condition des chrétiens dans le royaume musulman d’Al-Andalous. Depuis les émeutes de 818, qui ont entraîné la destruction des églises, tout est fait par le pouvoir pour éradiquer le catholicisme, jusqu’à recourir contre les dhimmis à des mesures coercitives de plus en plus violentes, entre autres l’enlèvement des enfants nés d’unions mixtes pour s’assurer qu’ils ne seront pas contaminés par la religion de leur parent chrétien, quand même ceux-ci seraient, selon la loi, officiellement convertis à l’islam.

L’évêque de Cordoue, Euloge, va alors prêcher une résistance non violente consistant pour les chrétiens à oser proclamer leur foi en public au milieu des musulmans et devant les autorités. Il s’agit de rappeler à l’émir l’existence d’une importante minorité chrétienne, qui revendique ses droits, et de relever le courage des chrétiens trop souvent tentés par les avantages, civils et financiers, accordés aux apostats, en les rappelant à leurs devoirs.

Il semble que des chrétiens et des convertis de l’islam, avertis de ce qui se passait à Cordoue, s’y soient rendus pour s’associer par leur mort au mouvement de protestation, tel Abdallah, « venu d’Orient » et que l’on ne connaissait pas en ville.

Pendant neuf ans, cinquante fidèles vont trouver la force d’aller au martyre pour l’honneur du Christ, en dépit de la condamnation précipitée prononcée par un concile provincial réuni en 852 à Cordoue, qui tentera d’assimiler leur attitude à une provocation suicidaire et coupable. L’Église, qui les a finalement tous portés sur les autels, a donné tort à ceux qui les avaient méjugés.

Les cinquante martyrs de Cordoue sont : Abundus, Adolphe, Amateur, Anastase, Aurea, Argimir, Pierre et Louis, Félix et son épouse Digna, Bénilde, Colombe, Élis, Paul et Isidore, Élodie et Nunilone, Émilas et Jérémie, Euloge, Fendila, Flore et Marie, Roger et Abdallah, Isaac, Laura, Lucrèce, Léovigilde et Christophe, Aurèle et son épouse Nathalie, Félix, Liliose et Georges, Paul, Pierre, Walabunsus, Sabinien, Wistremundus, Perfectus, Pompose et Pomposa, Rodrigue, Salomon, Sancho, Sandèle, Sisenandrus, Théodemir, Wirlesind.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

  • Cyrille Aillet, Islamisation et arabisation de l’Occident médiéval, Presses de la Sorbonne. 2011. Disponible en ligne .


En complément

  • Les martyrs de Cordoue durant la persécution des Arabes, extrait du mémorial de saint Euloge, IXe siècle. Disponible en ligne .

  • Kenneth Baxter Wolf, Christian Martyrs in Muslim Spain, 1988. Disponible en ligne .

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