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Les saints
Normandie (France)
Nº 380
1756 – 1846

La confiance en Dieu de sainte Marie-Madeleine Postel (+1846)

Lorsque, le 28 novembre 1756, Julie Françoise Catherine Postel naît à Barfleur, petit port du diocèse de Coutances, en Normandie, on s’empresse de la baptiser le jour même, tant la santé du nourrisson semble chétive. Personne ne peut alors s’imaginer que cet enfant s’éteindra nonagénaire et que, malgré des difficultés de toutes sortes, elle aura restauré l’une des plus anciennes abbayes de France, qui abrite désormais la congrégation qu’elle a fondée : les Filles de la Miséricorde.


Les raisons d'y croire

  • L’enseignement religieux que Julie Postel reçoit ne demeure pas purement théorique, mais s’ancre profondément dans sa vie : dès son plus jeune âge, elle récite le chapelet, se rend au catéchisme comme à une fête et, voulant imiter les privations des premiers chrétiens, rationne le pain qu’elle mange, pose sur son matelas une planche de bois et y remplace l’oreiller par une pierre. Jusqu’à sa mort, à un âge avancé, elle applique des pratiques d’austérité et d’humilité qui témoignent de sa foi profonde et de la force surnaturelle qui l’habite (lit de planches, unique repas quotidien, corset aux mille pointes de fer…)

  • À cinq ans, elle donne un jour une partie de ses vêtements à une pauvre fille, et ses chaussures un autre jour. Un peu plus âgée, le soir, après la classe à Barfleur, Julie porte aux indigents de la soupe et du bois, et quête de porte en porte à leur intention. Une fois, elle se jette à genoux entre deux soldats qui s’étaient disputés et se préparaient à se battre en duel à l’épée... Les contemporains qui ont connu Marie-Madeleine Postel reconnaissent sans hésiter que le ressort de ces actions, si contraires à la pente naturelle des mœurs humaines, est l’amour pour Jésus-Christ.

  • La Convention entame en août 1790 une persécution religieuse, obligeant les prêtres à prêter serment sur la Constitution civile du clergé, qui est condamnée par le pape Pie VI en mars 1791. Julie Postel a trente-sept ans. Elle refuse, malgré les menaces verbales et physiques, d’assister aux offices du curé assermenté. Au péril de sa vie, elle fait installer secrètement un oratoire chez elle pour que les prêtres fidèles à l’Église puissent y célébrer des messes et que des hosties consacrées y soient conservées.

  • Julie tient compagnie, dès qu’elle le peut, au saint sacrement – Jésus-Eucharistie – et veille auprès de lui le soir et, du jeudi au vendredi, toute la nuit. Si elle agit ainsi, c’est parce que Jésus-Christ vivant et glorieux, bien que caché sous les apparences de l’hostie, est réellement présent personnellement, à la manière dont une personne l’est à une autre quand elles conversent ensemble.

  • Jamais le saint lieu ne sera découvert : les anges gardiens, que Julie honore d’un culte particulier, veillent. Ils la protègent quand elle chemine en portant sur elle le saint sacrement : on l’épie, on la suit même, mais elle parvient toujours à déjouer les ruses. Malgré l’épée de Damoclès qui pend ainsi au-dessus de sa tête à tout instant, sa foi profonde lui permet de garder la paix et la joie – elle confesse que la pensée de son hôte divin ne la quitte jamais.

  • Julie Postel, devenue mère Marie-Madeleine, entreprend en 1832 de rebâtir l’abbaye de Saint-Sauveur qui est en ruine, afin de s’y établir avec sa communauté. Elle a alors soixante-seize ans et, pour tout architecte, un maçon et menuisier… Sans posséder la moindre amorce des fonds nécessaires, la reconstruction semble impossible. La confiance de mère Marie-Madeleine est pourtant inébranlable car « Dieu le veut, j’en suis certaine. » Contre tout pronostic, la magnifique église abbatiale est intégralement rebâtie.

  • Le 2 juillet 1846, mère Marie-Madeleine confie à son entourage que la prochaine fête de la Vierge bénie sera son dernier jour sur la terre. Marie vient la chercher le 16 juillet, fête de Notre Dame du Mont-Carmel, et mère Marie-Madeleine, presque nonagénaire, quitte ce monde en disant : « Mon Dieu, je remets mon âme entre vos mains. »

  • Comme, depuis sa mort, la renommée de sainteté de mère Marie-Madeleine va toujours en grandissant, sa cause de canonisation est lancée rapidement. Les vertus héroïques dont elle a fait preuve durant sa vie ont été reconnues et, après enquête, le pape Pie X a approuvé trois guérisons miraculeuses attribuées à son intercession et l’a béatifiée. Le pape Pie XI confirmera deux autres miracles et la canonisera en 1925.


En savoir plus

Après une éducation soignée au pensionnat pour jeunes filles que tiennent les bénédictines en leur abbaye de Valognes, Julie regagne la maison paternelle. Elle a alors dix-huit ans, et est décidée à accomplir au bénéfice des jeunes filles l’œuvre que saint Jean-Baptiste de La Salle a réalisée pour les garçons. Jésus-Christ l’appelle à lui : elle le sait, mais ce sera par une vie plus pauvre et sous une règle plus austère que celle qu’elle a connue en l’abbaye royale de Valognes. Elle fonde donc une petite école, où elle enseigne le catéchisme, le calcul et l’écriture, ainsi que tous les ouvrages ou travaux féminins utiles. Elle ne délaisse pas pour autant les pauvres : infatigable, elle quête pour eux, soigne les malades et assiste les mourants. Elle se prive elle-même en fait d’habits ou d’aliments, et file le rouet la nuit.

La mort de sa mère en 1804, des dissensions entre paroissiens et surtout la vénération que beaucoup lui témoignent lui pèsent. Une enfant de huit ans, que Julie a préparée à la première communion, lui dit sur son lit de mort : « Vous formerez une communauté religieuse à travers de grandes tribulations : vous demeurerez à Tamerville ; pendant de longues années, vos filles seront peu nombreuses et on n’en fera aucun cas ; puis des prêtres vous conduiront dans une abbaye ; vous mourrez dans un âge avancé, après vous être occupée d’une église. » Cette prédiction se réalisera point par point. La nouvelle fondatrice, qui a alors quarante-neuf ans et dont la santé a été altérée par les veilles, les privations et les travaux, y puisera sa lumière et sa force.

À Cherbourg, la Providence guide Julie auprès de l’aumônier de l’hospice, l’abbé Cabart, qui consacrait sa fortune et son temps aux pauvres. Elle lui avoue son intention de fonder une congrégation dont les tâches seraient l’instruction des jeunes filles et la sollicitude envers les malheureux. Elle ne possède rien, et ne cherche qu’en Dieu ses ressources. L’abbé Cabart loue aussitôt une maison pour en faire une école et lui confie le soin des enfants déshérités. Avec une amie de Barfleur puis deux jeunes recrues, dont la future mère Placide Viel, l’institut des Filles de la Miséricorde est fondé, avec l’approbation de l’évêque de Coutances, sous la direction de l’abbé Cabart. Le 8 septembre 1807, mère Marie-Madeleine Postel et ses deux compagnes font profession. Des postulantes se présentent, si bien que la fondatrice envoie deux de ses filles diriger l’école d’Octeville-l’Avenel, à sept lieux au sud de Cherbourg.

Quand, en 1811, les Sœurs de la Providence reviennent à Cherbourg, mère Marie-Madeleine prend la décision héroïque de se retirer : c’était à cette congrégation qu’incombait avant les troubles de la Révolution l’éducation des enfants pauvres. Les Filles de la Miséricorde se transportent donc toutes à Octeville. De là, les épreuves pleuvent : maladie et mort de plusieurs religieuses, persécutions qui empêchent de rouvrir une école, et toujours extrême pauvreté. D’Octeville, la communauté gagne Tamerville, puis quitte ce dernier lieu sans rien d’autre qu’une Vierge des douleurs, que porte la fondatrice. Après quelque temps passés à Valognes, où les sœurs ne purent rien accomplir parce que trois communautés religieuses vaquaient déjà aux classes et aux ateliers, c’est le retour à Tamerville, où elles obtiennent de retourner dans leur ancienne maison. La loi exige désormais que toute institutrice passe un examen : malgré ses soixante-deux ans, mère Marie-Madeleine s’y soumet pour encourager ses Filles. Épreuves et joie se succèdent, et deux petites maisons sont fondées à Tourlaville et à La Glacerie.

La maison de Tourlaville s’avère maintenant trop petite, et la fondatrice décide d’acheter en 1832 la vieille abbaye bénédictine de Saint-Sauveur-le-Vicomte. La fondatrice a alors soixante-seize ans, l’église et les bâtiments sont à moitié démolis et la communauté n’a pas de quoi régler le notaire ! La communauté, conduite par deux prêtres, s’y installe le 15 octobre 1832, conformément à la prophétie. Mère Marie-Madeleine organise le nouveau logis : la chapelle est installée au bas-côté sud de l’église, un vaste jardin potager est défriché et planté ; des ateliers de tissage et de couture sont établis. Mère Marie-Madeleine recueille les orphelines et ouvre une école avec des pensionnaires. L’extrême pauvreté, le travail écrasant au milieu des gravats et de la poussière, les soucis en tous genres, la critique hostile motivée par la jalousie des notables – qui voient d’un mauvais œil cette communauté qui change le visage de la commune et probablement certains rapports de pouvoir –, toutes ces croix pèsent sur les épaules de la « bonne Mère » comme beaucoup l’appellent depuis longtemps, mais elles n’entament ni sa confiance en Dieu ni son courage et sa force surnaturelle.

C’est par miracle que la communauté, devenue nombreuse, vit au jour le jour. Malgré le dénuement, mère Marie-Madeleine entreprend de restaurer l’église abbatiale : « Dieu le veut ! », explique-t-elle. Les obstacles que les propriétaires mettaient à cette entreprise disparaissent ; les ressources qui correspondent à la dépense des travaux parviennent régulièrement. Parce qu’elles sont cependant trop faibles, sœur Placide Viel, sur l’ordre de la supérieure, va en 1842 quêter à Paris, en province, hors de France, et Dieu protège et bénit l’humble religieuse. Ces signes ne sont-ils pas les gages qui authentifient la volonté divine dont la mère se montre le porte-parole ? À Saint-Sauveur, la « bonne Mère » et ses Filles déblayent le terrain des énormes éboulis et de la végétation qui avait envahi la nef de l’église, trient les pierres et préparent les matériaux avec une ardeur extraordinaire. Sous l’impulsion de mère Marie-Madeleine, un simple menuisier, François Halley, remplit à merveille les fonctions d’architecte, de conducteur des travaux et de sculpteur.

Cependant, le 25 novembre 1842, le clocher que l’on avait réédifié s’écroule. Tout le monde se lamente. Heureusement, il n’y a ni morts ni blessés : la communauté en remercie le Ciel par le chant du Te Deum. Puis mère Marie-Madeleine relève le courage de tous : « Nous allons tout reconstruire à la fois ; Dieu le veut ! L’argent ne manquera pas jusqu’à ce que l’église soit rebâtie ; moi, j’en verrai la fin… du paradis. » On démolit et on recommence à construire ; sur une pierre d’angle, la fondatrice fait graver ces mots : « Confiance en Dieu ». Ne composent-ils pas toute sa devise ? Plusieurs fois, la situation est critique, mais la « bonne Mère » s’oppose à l’arrêt des travaux et la Providence confirme la justesse de sa prédiction par l’arrivée de secours inespérés.

Dix ans après la mort de mère Marie-Madeleine, l’église rebâtie est consacrée par Mgr Delamare, devenu évêque de Luçon. Nous sommes en 1856. La supérieure avait prédit que l’abbé Delamare, proposé plusieurs fois pour un évêché, ne deviendrait évêque que lorsque la communauté n’aurait plus besoin de lui.

C’est dans l’église de l’abbaye relevée que la dépouille de la « bonne Mère » dort, en attendant sa propre résurrection. Mais elle veille sur ceux qui viennent l’invoquer avec humilité, foi, confiance et persévérance, et leur obtient de la providence, qu’elle a si bien servie, grâces spirituelles et corporelles.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Au delà

Au soir de sa vie, lors de l’approbation des constitutions définitives, le 21 septembre 1838, mère Marie-Madeleine demande la permission à l’abbé Delamare, vicaire général du diocèse de Coutances et supérieur ecclésiastique de la congrégation, qu’elle a elle-même fondée et qu’elle gouverne, de continuer à adorer la nuit le saint sacrement, près du tabernacle. Ce trait résume toutes ses aspirations ici-bas et explique la foi et la force surnaturelle qui ont brillé au long de sa vie.


Aller plus loin

Guillaume Hünermann, Sainte Marie-Madeleine Postel, la fille du cordier de Barfleur, Salvator, 2021 (format poche).


En complément

  • Pierre de Crisenoy, Sainte Marie-Madeleine Postel, Coutances, Éditions Notre-Dame, 1953. Premières pages disponibles en ligne .

  • François-Augustin Delamare, Vie édifiante de la très honorée supérieure Marie-Madeleine, née Julie Postel, fondatrice des Sœurs des Écoles chrétiennes de la Miséricorde, Coutances, Imprimerie de Salettes, 1852. Réédition par le Livre d’histoire, 2005. L’auteur fut le dévoué supérieur ecclésiastique de la congrégation des Filles de la Miséricorde. Disponible en ligne .

  • Georges Grente, Sainte Marie-Madeleine Postel, Paris, Lecoffre, 1917. Nouvelle édition en 1945 (l’auteur est alors devenu évêque du Mans et est entré à l’Académie française). Premières pages disponibles en ligne .

  • Une série de vitraux (chapelle de la Bretonne, Barfleur), réalisée en 1896, retrace la vie de Julie Postel, de son baptême à son procès de béatification.

  • La lettre apostolique Christiani nominis (22 janvier 1908) du pape Pie X pour la béatification de la vénérable servante de Dieu Marie-Madeleine Postel.

  • Marion A. Habig, o.f.m., The Franciscan Book of Saints, p. 505-507.

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