
La guérison miraculeuse de Marie Bailly et la conversion d’Alexis Carrel (1902)
En mai 1902, à la suite d’un concours de circonstances incroyables, Alexis Carrel (1873 – 1944), médecin lyonnais, futur Prix Nobel, athée, remplace un collègue devant accompagner des pèlerins à Lourdes. Dans le train, il rencontre Marie Bailly, vingt-deux ans, atteinte d’une péritonite tuberculeuse qui a provoqué une grosseur énorme sur son ventre. Le lendemain de son arrivée, Carrel constate qu’elle agonise lorsque, soudainement, la tumeur du ventre disparaît de façon inexplicable. Le médecin athée se convertit à la suite de cette guérison, qui est jugée miraculeuse.
Les raisons d'y croire
On peut considérer que le premier prodige a lieu lorsque Marie parvient en vie à Lourdes : à l’époque, le voyage en train, d’une durée de quarante-huit heures, est très fatigant et inconfortable. Les médecins avaient formellement déconseillé à ses parents de l’envoyer dans la cité mariale, prévenant (comme Carrel) qu’elle n’arriverait pas en vie.
La disparition de la grosseur ventrale de Marie, en quelques minutes, n’a aucune explication possible. Connu dans le monde entier pour ses travaux sur l’anastomose vasculaire, salué par la communauté scientifique comme un observateur chevronné, Carrel, agnostique au moment de la guérison, se tenait juste derrière Marie au moment des faits : il n’a pu se tromper ou être le jouet d’une quelconque illusion. Son témoignage, concis, minutieux, « froid » comme celui d’un médecin, rédigé peu après le miracle, se passe de tout commentaire : « L’abdomen extrêmement distendu et très dur a commencé à s’aplatir et, en trente minutes, il avait complètement disparu. »
Remué intérieurement, Carrel hésita d’abord quant à la valeur de son propre diagnostic (péritonite tuberculeuse), établi pendant le voyage en train. Or, il ne s’est pas trompé du tout : Marie avait déjà eu des antécédents tuberculeux, et le « sérodiagnostic de la tuberculose », établi bien avant le pèlerinage, avait été positif. D’ailleurs, Carrel « n’a pas hésité un seul instant » à diagnostiquer la péritonite tuberculeuse.
Prix Nobel de physiologie pour ses travaux sur les tissus vivants, Alexis Carrel est tout sauf un illuminé ou un affabulateur : son sens de l’observation, ses connaissances exceptionnelles en matière d’évolution des maladies et son expérience de praticien font de lui un scientifique hors pair.
Carrel est tellement surpris par cette guérison qu’il demande que Marie soit suivie pendant quelques mois par un médecin généraliste et un psychiatre. L’absence d’explications de ses confrères le laisse sans voix.
S’il envisage de rechercher une cause naturelle, il est, dès la manifestation de cette guérison, absolument certain de ce qu’il a vu de ses yeux de savant : « Jamais je n’oublierai l’événement bouleversant que j’ai vécu […]. Je ne puis le comprendre, mais je ne puis douter non plus de ce que j’ai vu de mes propres yeux »(cité par Pierre Lunel, Les Guérisons inexpliquées, p. 69).
La conversion d’Alexis Carrel n’est en rien superficielle ou temporaire. Carrel a certes mis du temps à déclarer publiquementsa foi (en 1942), mais celle-ci apparaît bel et bien aussitôt après la guérison miraculeuse de Marie, comme le prouve, dès les jours qui l’ont suivie, l’intérêt nouveau qu’il porte à enquêter sur les guérisons inexpliquées – curiosité qu’il n’avait jamais eue jusqu’alors.
La conversion de Carrel n’a pas signifié l’abdication de sa raison. C’est tout le contraire : c’est en frappant son intelligence que Dieu a changé son cœur. Sa démarche préalable fut d’envisager toutes les causes naturelles possibles, « avec une grande méticulosité » (docteur Boissarie), explorant par exemple la possibilité d’une explication par les troubles mentaux : « péritonite nerveuse développée chez une jeune fille tuberculeuse et hystérique ». Ne découvrant rien, ayant épuisé toutes les ressources de la science, il confesse que cette guérison dépasse absolument les lois connues.
Les fruits de la guérison sont durables et significatifs : outre la conversion d’un Prix Nobel, qui est revenu par la suite de nombreuses fois à Lourdes, la miraculée se découvre une vocation religieuse, qu’elle suit magnifiquement en devenant sœur des Filles de la Charité.
Marie est morte à l’âge de cinquante-huit ans, après une vie spirituelle d’une grande densité, sans avoir jamais connu de rechute tuberculeuse.
Lors d’un de ses séjours à Lourdes, Alexis Carrel sera témoin d’un second miracle : lors de la bénédiction du saint sacrement, il voit à ses côtés la guérison d’un enfant aveugle de dix-huit mois.
Si cette guérison n’a pas été retenue par les instances médicales du sanctuaire et par l’Église, elle n’en reste pas moins extraordinaire. Pour que le « dossier Bailly » ait été retenu par lesdites institutions, il eût fallu le constituer en bonne et due forme, sans lacune ni omission d’aucune sorte. Or, ni Marie ni les siens n’avaient conservé les pièces médicales indispensables : son cas ayant été jugé désespéré, la question des certificats n’a plus pesé bien lourd… Cette carence formelle ne présume en rien de la vérité du miracle !
En savoir plus
En mai 1902, Alexis Carrel, médecin lyonnais, agnostique et positiviste, doit remplacer un confrère qui a été chargé d’accompagner des pèlerins par train jusqu’à Lourdes.
Au cours du voyage ferroviaire, qui dure quarante-huit heures, il rencontre une jeune femme âgée de vingt-deux ans, Marie Bailly, dont l’état de santé est catastrophique. Allongée sur une civière, le « visage blême », d’une maigreur extrême, à demi inconsciente, elle semble entre la vie et la mort. Son abdomen laisse apparaître une grosseur énorme. Après l’avoir examinée, il donne son diagnostic : « péritonite tuberculeuse ». Selon lui, elle n’arrivera pas vivante à Lourdes.
Le docteur Carrel est surpris que l’on ait autorisé cette fille à partir en train. Il apprend que ses parents n’ont pas tenu compte des avertissements des médecins. Ils l’ont portée dans le wagon, sachant que la fin était proche, car leur fille avait émis un dernier vœu : se rendre dans la cité de la Vierge Marie. Contre toute attente, Marie survit au long et fatigant voyage.
Le lendemain de son arrivée, elle est conduite en début d’après-midi aux piscines. Vers 13 h 30, on l’étend sur une civière devant la grotte de Massabielle, où un groupe de malades sont alors réunis pour prier. Son état est aussi alarmant que la veille et la pauvre fille semble aux portes de la mort. Le docteur Carrel, qui ne la quitte pas des yeux depuis le départ, constate qu’elle agonise. Il est 14 h 40.
Bientôt, on verse trois cruches d’eau de la grotte sur son abdomen, dont la peau est extrêmement tendue. Après la première, elle ressent comme une brûlure ; à la seconde, elle se sent légèrement mieux, et après la dernière, elle a une « sensation agréable ». Alexis Carrel est derrière sa civière. Il assiste évidemment à toute la scène, qu’il scrute de ses yeux de scientifique, sans éprouver de sentiment religieux.
Puis, furtivement, son regard tombe sur Marie. C’est le choc : « Il me sembla que l’aspect de sa figure s’était modifié, que les reflets blêmes avaient disparu, que sa peau était moins pâle. La figure de Marie se modifiait toujours, les yeux brillants, extasiés, tournés vers la grotte. Tout à coup, je me sentis pâlir. Je voyais, vers la ceinture, la couverture se déprimer peu à peu au niveau du ventre. Trois heures venaient de sonner à la basilique. Au bout de quelques minutes, la tuméfaction du ventre semblait avoir complètement disparu. » Et d’ajouter : « Je crois vraiment que je deviens fou ! » (A. Carrel, Le Voyage de Lourdes).
Le futur Prix Nobel ne peut douter de ce que ses yeux viennent de voir. Le phénomène est là, et il est impossible de le réduire et de le nier. Mais également de l’expliquer. Le processus curatif auquel il vient d’assister est évidemment une première dans sa carrière scientifique. Il se met alors à douter, à commencer de lui-même : « Peut-être me suis-je trompé de diagnostic ? Cette fille serait-elle hystérique ? ou manipulatrice ? »
Loin de tomber dans une quelconque crédulité – comment le pourrait-il, lui qui vient d’assister au prodige à quelques centimètres de Marie –, il se refuse à croire (non à une cause surnaturelle : cette hypothèse n’entre nullement alors dans ses catégories) à une cause qui serait inconnue de l’ordre de la nature. Aussi va-t-il se lancer dans des investigations médicales d’ampleur pour essayer d’y voir plus clair. Il commence par demander à deux confrères, un généraliste et un psychiatre, de suivre Marie pendant quelques mois, afin d’identifier une éventuelle rechute.
Quelques heures plus tard, Carrel examine la miraculée : « La peau apparut blanche et lisse, le ventre petit, plat et déprimé comme chez une jeune fille de vingt ans très amaigrie. L’abdomen se montra au toucher souple et dépressible. Aucune douleur. La tuméfaction s’était évanouie comme dans un rêve. Tout était redevenu normal. La guérison était complète… Je demeurai muet. La transformation était prodigieuse. La jeune fille était assise sur son lit. Les yeux brillaient dans sa figure, grise encore et décharnée, mais mobile et vivante, avec un peu de rose aux joues. De toute sa personne émanait un indéfinissable sentiment de calme qui rayonnait autour d’elle et illuminait de joie la triste salle… Elle est guérie, c’est indiscutable. » Il n’a fallu qu’à peine trois heures pour que Marie, agonisante, soit totalement et définitivement guérie.
Tous les médecins qui ont croisé la route de Carrel ces jours-là ont été témoins de la « méticulosité » avec laquelle il examina à plusieurs reprises Marie Bailly, et notamment deux médecins du Bureau des constatations médicales de Lourdes : son président, le docteur Boissarie, et son confrère, le docteur Duquaire.
D’emblée, Carrel admit auprès de ses confrères de Lyon et de Paris que la science ne doit ignorer aucun fait. Cette hypothèse suffit à lui causer de vifs désagréments dans sa carrière de praticien, au point qu’il dut s’exiler aux États-Unis pour mener à bien ses travaux, pour lesquels il fut récompensé en 1912 en recevant le prix Nobel de physiologie.
À partir de 1942, il commença à confesser publiquement sa foi et écrivit qu’il n’a jamais oublié un seul instant cette guérison qui, pour lui, fut un moment charnière dans son existence. Deux ans plus tard, il publia un livre sur la prière.
Quant à Marie, elle n’a jamais eu de rechute et a vécu jusqu’à l’âge de cinquante-huit ans. La cause de son décès n’a aucun rapport avec une pathologie pulmonaire. Parmi les Filles de la Charité, elle mena une existence modèle, aidant ses sœurs malades et âgées.
Patrick Sbalchiero
Au delà
Un chercheur de la dimension de Carrel, Prix Nobel de médecine, n’a pu se tromper, ni être victime d’une illusion pendant une demi-heure. Les faits qu’il rapporte sont vrais, réels, circonstanciés. Mais ils sont inexplicables et il n’a jamais rien vu de semblable. Ceci l’entraîne non à nier l’évidence, ce que ses yeux expérimentés ont vu sans possibilité d’erreur, mais à s’interroger, en scientifique qu’il est, sur la cause véritable du phénomène. C’est par l’intelligence qu’il découvre la grâce.
Aller plus loin
Alexis Carrel, Le Voyage de Lourdes, préface de Dom Alexis Presse, Paris, Plon, 1949.
En complément
Théodore Mangiapan, Les Guérisons de Lourdes, Lourdes, Œuvres de la Grotte, 1994.
Ruth Harris, Lourdes. La grande histoire des apparitions, des pèlerinages et des guérisons, Paris, Jean-Claude Lattès, 2001.
Bertrand Fessard de Foucauld, « Carrel Alexis », dans Patrick Sbalchiero (dir.), Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, Paris, Fayard, 2002, p. 142-144.
Pierre Lunel, Les Guérisons miraculeuses. Enquête sur un phénomène inexpliqué, Paris, Plon, 2002.
Patrick Sbalchiero, Apparitions à Lourdes. Bernadette Soubirous et les miracles de la Grotte, Paris, Presses du Châtelet, 2008 (p. 216-218).
Laëtitia Ogorzelec-Guinchard, Le Miracle et l’enquête. Les guérisons inexpliquées à l’épreuve de la médecine, Paris, PUF, 2014.