
« Consacre ta paroisse au cœur immaculée de Marie » (1836)
En 1836, l’abbé Charles Dufriche Desgenettes, curé de Notre-Dame des Victoires, dans le quartier de la Bourse, à Paris, est découragé et malheureux. Nommé à ce poste en 1832, malgré ses efforts, il pense ne rien tirer de cette paroisse qui compte 40 000 âmes sur le papier mais n’en voit pas quarante à la messe dominicale, même aux grandes fêtes. Le quartier est déchristianisé depuis la Révolution. Craignant ne servir à rien, l’abbé Dufriche des Genettes qui, à 58 ans, se sent vieux, a même demandé à être relevé de ses fonctions, sans succès. Désespéré, il ne sait plus quoi faire. Le 3 décembre, il monte à l’autel pour célébrer la messe ; celle-ci ne va pas se dérouler comme à l’ordinaire. Il entend une voix lui dire : « Consacre ta paroisse au très saint et immaculé cœur de Marie ! »
Les raisons d'y croire
L’abbé Dufriche des Genettes est un homme d’âge mur, rationnel, éloigné des phénomènes mystiques qu’il respecte mais qu’il ne pense pas fait pour lui et qui l’effraient un peu. Jamais auparavant il n’a connu semblable expérience et, bien loin de se complaire dans cette intrusion du surnaturel dans sa vie, il refuse d'abord de croire à ce qui lui arrive, malgré la répétition du phénomène.
Lucide, il est préoccupé de cette malencontreuse « distraction » survenant à l’instant le plus sacré de la messe et craint de se rendre coupable d’un péché grave.
Il sait ce qu’est une « locution intérieure » : une parole distinctement entendue qui n’émane pas d’un interlocuteur visible, qui peut être, avec prudence, attribuée à Dieu, à la Vierge Marie, un ange ou un saint, mais aussi au démon et qui ne saurait être le fruit de l’imagination de celui qui l’entend. Mais, par humilité, il n’arrive pas s’en croire bénéficiaire.
Comme ce qu’il vient de vivre l’obsède, il a l’idée, psychologiquement juste, de mettre son expérience par écrit, dans l’espoir de n’y plus penser. Or, c’est le contraire qui se produit.
Sagement, il soumet tout à son archevêque, Mgr de Quelen, et ne fait rien sans sa permission, ce qui est un gage de sa bonne foi et de sa prudence.
Dernière précaution, il demande au Ciel, si c’est lui qui se manifeste, de lui en donner une preuve : la conversion d’un ancien ministre de Louis XVI, Mr Joly, agnostique qui a toujours refusé sa visite. Il l’obtient dès le lendemain.
Dès le 13 décembre, l’obéissance du prêtre à l’ordre mystérieux de consacrer sa paroisse cœur de Marie porte des fruits de grâce et de conversion spectaculaires qui feront bientôt connaître largement Notre-Dame des Victoires : l’église est comble et la petite confrérie paroissiale créée par le curé prend une ampleur mondiale.
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Le samedi 3 décembre 1836, l’abbé Dufriche des Genettes, en célébrant sa messe, est saisi d’une tentation de désespoir ; il entend une voix lugubre lui répéter : « Tu ne fais rien ici, ton ministère est nul. Depuis quatre ans, qu’as-tu gagné ? Tout est perdu. Ce peuple n’a plus la foi. Tu devrais, par prudence, te retirer. » Épouvanté, il en perd le fil de sa messe et manque s’arrêter avant de consacrer, par peur du sacrilège … Il demande à Dieu d’être « libéré de cette malheureuse distraction ». À peine a-t-il fait cette prière qu’il entend une autre voix dire, « d’une manière solennelle » : « Consacre ta paroisse au très saint et immaculé cœur de Marie ! »
Aussitôt, le trouble démoniaque s’évapore, laissant place à un sentiment de calme. Sa messe achevée, il gagne la sacristie, se répétant qu’il ne faut pas s’arrêter à « une illusion » ni s’aviser « de devenir visionnaire » … Il en est là de ses réflexions lorsque la même voix s’élève de nouveau : « Consacre ta paroisse au très saint et immaculé cœur de Marie ! » Le curé, essaie de repousser cette suggestion, en vain. Pour s’en libérer, il rédige les statuts d’une confrérie placée sous ce vocable en se disant qu’il s’agit d’un acte de dévotion envers la Sainte Vierge, que l’initiative peut être positive. Mgr de Quelen, l’approuve.
Le dimanche 11 décembre, devant une assistance encore plus clairsemée qu’à l’ordinaire, le curé annonce en chaire la célébration le même soir d’un office exceptionnel « pour implorer de la miséricorde divine, par la protection de Marie, la grâce de la conversion des pécheurs » et invite à y venir nombreux. Il pense qu’il n’y aura personne.
L’heure de l’office arrive. Le curé reste stupéfait : l’église est pleine ; il y a près de 500 personnes. Il explique les buts de la confrérie : l’assistance, tantôt indifférente, a les larmes aux yeux et récite les litanies de la Vierge avec ferveur. Arrivé à l’invocation, « Refuge des pécheurs, priez pour nous », l’abbé s’écrie in petto : « Marie, adoptez cette pieuse association ! Donnez-moi pour signe la conversion de M. Joly. J’irai demain chez lui en votre nom. »
M. Joly, octogénaire, a été le dernier Garde des Sceaux de Louis XVI. Franc-maçon, il se pose en ennemi de la religion mais, l’abbé Dufriche des Genettes, le sachant malade, aveugle, isolé, lui a plusieurs fois rendu visite, pour se faire éconduire. Le lendemain, on lui refuse la porte, il insiste. M. Joly consent, par politesse, à le recevoir. Après cinq minutes de conversation, soudain, il s’écrie : « Que votre présence me fait du bien, monsieur le curé ! Depuis que vous êtes là, je goûte une paix, une joie intérieure que je n’avais jamais connues… » Et il réclame la bénédiction du prêtre. Ce retour à Dieu, public, d’un agnostique militant, contribue à la notoriété de la petite confrérie paroissiale. En quelque mois, plusieurs millions de catholiques y adhèrent.
Partout, le cœur immaculé de Marie touche les âmes endurcies et convertit les pécheurs. Désormais, Notre-Dame des Victoire attirera les foules et ne désemplira plus.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Se renseigner sur la Confrérie créée par l’abbé Dufriche des Genettes : voir sur le site Internet de Notre-Dame des Victoires .
En complément
Anonyme, Notre-Dame des Victoires, refuge des pécheurs, 2015.
Bulletin paroissial de la Sainte Trinité, 1927.
Jean Clapier, Quand la Vierge Marie sourit aux pécheurs, Notre-Dame des Victoires, Salvator. 2013.
Sur le site Notre Histoire avec Marie, l'article « Notre-Dame des Victoires, lieu de miséricorde et de conversion pour les pêcheurs ».